• Docteur Jean-Jacques et Mister Rousseau au Panthéon.



    Après L'Assemblée Nationale et Montmorency, le Panthéon rend un hommage appuyé au philosophe pour le tricentenaire de sa naissance. Voilà enfin la grande exposition-hommage tant attendue, dans un décor grandiose : l’église des grands-hommes. L’endroit n’est pas adapté à ce type d’évènement, aussi les déambulatoires de l’édifice servent judicieusement aux deux parties de l’exposition : La première, assez sobre, mais très complète sur les origines, les idéaux et des illustrations de ses livres, la seconde plus colorée et plus animée sur le mythe et l’anthologie. Double mérite également à souligner : celui d’avoir pu mettre sur pied un scénario de choix, avec des pièces qui présentent remarquablement l’imaginaire de Jean-Jacques, son génie et son influence, tout en n’effaçant pas la part obscure et l’orgueil insensé de Rousseau. Superbe parcours qui permettra à certains de s’enthousiasmer et à d’autres de soulever le rideau noir.

    La Musique :

    Lorsque Denis Diderot lui demande d’écrire des articles pour l’Encyclopédie en 1749, il connait la qualité de l’auteur ainsi que l’incroyable capacité du genevois à faire passer ses audaces. Jean-Jacques s’acquitte de près de 400 articles sur la Musique et inaugure ce qui deviendra par la suite sa marque de fabrique : faire la leçon aux autres. Il remporte à Dijon un concours grâce à son «  discours sur la science et les arts » et invente un nouveau système de notation musicale audacieux, mais peu pratique, dans lequel il supprime les portées. Celui-ci est rejeté par l’Académie des Sciences. Il sera néanmoins invité à participer à de nombreux concours stylistiques dans lesquels le professeur Rousseau clame haut et fort que les Français n’ont jamais su écrire de musique. Ni Rameau, ni Lulli n’exprime à ses yeux ce que la mélodie a de supériorité sur l’harmonie. Leur langue ne s’y prête pas et la musique italienne est bien meilleure, dit-il, captivé par le chant des gondoliers. Étoile

    Ce qui serait de l’inconvenance chez le surdoué Jean-Jacques, deviendra arrogance et trompette bruyante de la vie du suisse Rousseau : L’aveuglement artistique de ses contemporains l’afflige profondément : le monde entier est contre lui et cette société s’est corrompue en ayant abandonné la pureté originelle, de sorte qu’il en portera témoignage, lui : « l’homme de la nature et de la vérité ». Il en fait sa devise « vitam impedore vero », se consacre à la  vérité et « aimera les hommes en dépit d’eux-mêmes et de leurs défauts ».

    La Sensibilité :

    Le Déluge Nicolas PoussinLes trompettes de la vertu et de la persécution, Rousseau les cultive avec habileté. De salons en retraites, de Montmorency à Ermenonville, le promeneur solitaire voyage beaucoup dans cette belle société de l’aristocratie oisive ou de la bourgeoise aisée qui se “gentilhommise” et se passionne pour cette nouvelle mode furieuse : la sensibilité. On aime le doux Jean-Jacques, l’émotion qu’il suscite et ses belles paroles qui ne peuvent venir d’ailleurs que du fond du cœur et de la raison. Quand il publie sa Nouvelle Héloïse en 1761, des milliers d’hommes et de femmes pleurent en lisant les 72 éditions successives et lui adressèrent des lettres extasiées pour le lui dire. Dans cette histoire d’amour naïve et impossible entre une jeune fille et son précepteur, il n’y a rien de vraiment nouveau, mais la simplicité et le naturel avec lequel Jean-Jacques exprime sa sentimentalité ouvre le cœur du lecteur. Nous sommes au XVIIIe siècle, tout le monde pleure, les larmes coulent et Jean-Jacques, lui-même, pleure, affligé de douleur lors de l’épisode où Julie contracte une pneumonie en sauvant son fils de la noyade puis meure entourée de son mari et de Saint-Preux. Le tableau de Nicolas Poussin “Le Déluge” dont on voit une copie dans l’exposition est analogue à cet instant. Vigee-Lebrun Marie-Antoinette et ses enfants Cette émotion vis-à-vis de l’enfance, c’est Jean-Jacques qui en est l’inventeur. Une émotion qui touchera jusqu’au plus profond la société de l’époque et dont il faut se souvenir lorsqu’on voit une reine, Marie-Antoinette, poser affectueusement avec ses enfants dans les bras devant Mme Vigée LeBrun.
    Jean-Jacques se fait baptiser à la demande de Mme de Warens, mais Rousseau avoue savoureusement dans ses Confessions « avoir beaucoup résisté ». Il organise des lectures de la première partie des Confessions dans des salons privés devant des auditoires silencieux et gênés face à cette âme mise à nu racontant par exemple le lien entre sa vocation et ses premières fessées enfantines. Madame de Warrens - "Maman" -  Miniature d'époqueSes anciens amis, apeurés, craignent des révélations et Mme d'Épinay fait interdire ces lectures par Sartine, on notera toutefois que Jean-Jacques, bien que se disant persécuté, n’eut pas droit à la Bastille comme Voltaire ou à Vincennes comme Diderot. Un jour, ne pouvant publier ses Confessions sans susciter de nouvelles “persécutions”, il tente de déposer le manuscrit sur l'autel de Notre-Dame, mais la grille fermée lui en empêche l'accès. En désespoir de cause, il harangue le passant  sur le parvis à qui veut bien l’entendre sur l’étendue de ses malheurs.

    La vie champêtre et le bon sauvage :
    Jean-Jacques est herboriste et aime la lande crépue et le désert aride. Il écrit ses lettres sur la botanique, mais refuse taxinomie et autres classifications des savants botanistes qui souhaitent distinguer les bonnes plantes des mauvaises ainsi que leurs usages. « Il n’y a pas de mauvaises herbes » dit-il, entouré de dames qui apprécient de voir leurs livrets agrémentés de petites plantes sauvages et d’herbiers colorés. La nature, belle par elle-même, nous offre ses plaisirs gratuits et « L’âme de l’homme est à l’état de nature ». Dans son Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes , Rousseau exprime la misère de l’homme et les calamités de la guerre par la découverte du fer et du blé (!). « le bon sauvage » a conservé cette ignorance primitive et dispose donc d’une bien meilleure aptitude au bonheur et à la paix. «
    pour le philosophe ce sont le fer et le blé qui ont civilisé les hommes, et perdu le genre humain » 

    L’Education :

    Emile ou de L'EducationL’éducation de l’enfant, c’est la mission et la compétence de Jean-Jacques qui codifie comment créer cet homme nouveau : l’allaitement, la libération des langes, des séances d’exercices, un bon précepteur qui lui explique Socrate et Platon, un peu de travail manuel et surtout une seule lecture autorisée : le « Robinson Crusoë » de Daniel Defoe. Le professeur exalte le retour à l’état primitif, gage de pureté de l’esprit. Il publie « Émile : de L’Éducation » en 1762 qui est, bien sûr, condamné pour son déisme un peu trop voyant et Rousseau fuit la France pour revenir dans son pays. Peu après, celui qui-sait-la-vérité-et-comment-l’enseigner abandonne ses cinq enfants aux enfants-trouvés afin que d’autres, si possible, s’en occupassent (1765). Rousseau n’épargnera rien à la pauvre Thérèse Levasseur, sa servante, mère de ses enfants, avec laquelle il vivait et qui se verra contrainte de mendier une pension auprès de la convention en 1791. Toujours sans le sou, le doux Jean-Jacques abhorre la propriété et aime tellement la liberté qu’il ne peut vivre qu’au crochet de protecteurs ou de protectrices comme Mme de Warens, qu’il appelle “Maman” et qui est probablement un agent de liaison du roi de Savoie (alors farouchement indépendante).

    La Politique :
    Rousseau et la terreur - AnonymeJean-Jacques, citoyen de Genève, écrit un « contrat social ». Il aime La république Romaine, vénère Lucius Brutus et Plutarque et exècre tout pouvoir qui n’émana pas expressément du peuple. Il choisit pourtant de vivre en France, qui est à son zénith, première puissance par sa population, par ses ressources économiques, sa culture, le prestige de son Roi et dont il s’indigne du peu d’intérêt que ses idées suscitent. Il lui semble pourtant bien reconnaître la démagogie et l’hypocrisie dans le char de sa République et sait qu’après Tarquin viendra un César et une guerre civile probable « mais je préfère, dit-il, une liberté dangereuse à un esclavage tranquille. S’il y avait un peuple de dieux, il se gouvernerait démocratiquement ».

    Chassé de Paris par les catholiques, chassé de Genève par les protestants, il sera également chassé à coup de pierres par les habitants de Môtiers. Il retourne à Paris en 1765 et se réfugie au Temple qui bénéficie de l’extra-territorialité, il repart en errance puis revient à Paris le 24 juin 1770 où il loge à l'hôtel Saint-Esprit, rue Plâtrière, qui deviendra notre rue Jean-Jacques Rousseau. Pourquoi cette assiduité loin de la campagne ? On se le demande car la ville n’est pas à son goût :

    « Je m’étais figuré une ville aussi belle que grande, de l’aspect le plus imposant, où l’on ne voyait que de superbes rues, des palais de marbre et d’or. En entrant par le faubourg Saint-Marceau, je ne vis que de petites rues sales et puantes, de vilaines maisons noires, l’air de la malpropreté, de la pauvreté, des mendiants, des charretiers, des crieuses de tisanes et de vieux chapeaux. Tout cela me frappa d’abord à tel point, que tout ce que j’ai vu depuis à Paris de magnificence réelle n’a pu détruire cette première impression, et qu’il m’en est resté toujours un secret dégoût pour l’habitation de cette capitale. Je puis dire que tout le temps que j’ai vécu dans la suite ne fut employé qu’à y chercher des ressources pour me mettre en état d’en vivre éloigné ». Confessions

    Puis dans l’Emile : « Il n'y a pas peut-être à présent un lieu policé sur la terre où le goût général soit plus mauvais qu'à Paris »

    La Panthéonisation :

    Quand Jean-Jacques a toujours vu dans la beauté de la nature la preuve effective d’une puissance céleste supérieure, Rousseau n’a jamais cru à ses manifestations actives, aux miracles et autres curiosités surnaturelles. Pourtant, son transfert au Panthéon le 11 octobre 1794 est une belle réussite qu’il doit largement à la providence. Robespierre, un ses disciples, devenu dictateur au fait de sa puissance, voyait en Rousseau un parangon de vertu et un apôtre précieux pour imposer au peuple un être-suprême laïc, conçu sur mesure pour la Révolution. Il fait donc voter son transfert au Panthéon le 14 avril 1794. Peu après, en juillet, le tyran se fait liquider par ses anciens amis révolutionnaires puis est envoyé vers l’échafaud à son tour. Le promeneur solitaire Jean-Jacques n’est pas précisément l’ allégorie souhaitée par les nouveaux directeurs d’un pays ruiné et aux abois. Ils acceptent toutefois le transfert à condition d’en faire sortir ce pauvre fou de Jean-Paul Marat, suisse également, qui déshonorait l’institution par sa présence. 

    « Des lauriers de Marat il n'est point une feuille
    Qui ne retrace un crime à l'œil épouvanté ;
    Mais ceux que le sensible et bon Rousseau recueille
    Lui sont dus par la France et par l'humanité »

    Rousseau portant le bandeau de l’immortalitéL'hommage solennel de la première République a lieu durant trois jours au cours d'une grandiose cérémonie où les cendres de Jean-Jacques Rousseau sont transférées d'Ermenonville au Panthéon à Paris. Le hasard fait qu'il repose en face de son vieil ami-ennemi de toujours : Voltaire, mort la même année que lui, en 1778. Dès lors, rien ne sera trop beau pour célébrer l’apothéose du héros bucolique portant le bandeau de l’immortalité. Vous pourrez en juger sur pièce dans la dernière partie de cette exposition dans laquelle vous entendrez une histoire plus lisse et convenable que celle que je viens de vous raconter, mais de la plus belle manière qui soit.

    Étoile Querelle des bouffons (1753) -
    Lettre sur la musique française (1753)

    Jean-Jacques Rousseau : Les Rêveries du promeneur solitaire : 4e promenade : De la vérité et du mensonge




    Site de l’exposition du
    29 Juin  au 30 Septembre 2012 - Horaires : 10h-18h30
    http://www.monuments-nationaux.fr/fr/actualites/a-la-une/bdd/actu/1073/jean-jacques-rousseau-et-les-arts//

    Lecture audio :  Jean-Jacques Rousseau : Les Confessions : http://www.litteratureaudio.com/livre-audio-gratuit-mp3/rousseau-jean-jacques-les-confessions-2.html