• Une polémique sur le Métronome TV

    À la suite de la diffusion à succès du Métronome TV sur France 5, une polémique est née sur l’Internet concernant un certain nombre d’erreurs déjà relevées lors de la parution du livre. En deux mots, Lorànt Deutsch a fini par énerver certains historiens sur le Net ainsi que des journaux du web comme Rue89, Arrêts Sur Images par l’absence de bibliographie et de sources. Ensuite, son “Histoire de France au rythme du Métro” serait beaucoup trop longue et bienveillante concernant la période antérieure à la Révolution alors que la période républicaine serait rabotée et présentée sous un jour exécrable. Une tendance de l’ouvrage (vendu à plus d’1.500.000 exemplaires) qui serait à l’image des opinions royalistes de son auteur, ding, deng, dong

    Pour les contradicteurs, une relecture attentive permet de souligner beaucoup d’erreurs concernant les faits rapportés. Le discours serait plutôt de l’ordre du mythe que des travaux scientifiques et la désignation comme documentaire, une tromperie sur la marchandise historique. Le service public (France 5) se retrouverait complice d’une promotion d’idées réactionnaires dans un but commercial. Accusation de sournoiserie, donc.


    Pour avoir suivi, sur ce blog, l’évolution du Métronome depuis ses débuts (2010) , je pense qu’il est logique que je donne aussi mon point de vue à ce sujet.


    Voyons deux extraits de l’intervention du 21 Avril à la FNAC qui donnent le ton, d’abord l’interview :


            


    Puis l’accusation, sous la forme d’une question dans la salle :

                  


    Prenons l’exemple du Louvre, dont il est question, qui me semble assez significatif de l’ensemble. Le Métronome Page 80 :
    “ A la fin du Ve siècle, on trouvait à et emplacement un camp fortifié dressé par les Francs qui assiégeaient Paris. De cette forteresse – Loewer en langue franque – nous avons fait notre Louvre” Puis, plus loin : “Certains vestiges sont parvenus jusqu’à nous. Certes il ne remontent pas à Clovis mais à Philippe-Auguste, roi de France à la fin du XIIe siècle”
    On sait que les vestiges visibles aujourd’hui au Louvre remontent à Philippe Auguste. En revanche, on n’a aucun élément prouvant que les Francs ont occupé ce lieu à la fin du Ve siècle. On peut simplement citer de petits indices :

    1) Le nom loewer qui signifie citadelle fortifiée en saxon. Certains (comme Rochegude) pensent que les Germaniques étaient déjà sur les lieux à cette époque.
    2) Le lieu est en zone élevée non inondable sur l’ancien lit de la Seine et à priori favorable à une construction militaire stratégique.
    3) On a retrouvé du IIIe siècle des fondations de 10m sur 8 d’un enclos avec des piliers dont on ignore l’usage (J.Prasteau)
    4) On a retrouvé un cimetière mérovingien important à côté lors de fouilles au XIXe siècle.
    5) La proximité de Saint-Germain l’Auxerrois, qui est la paroisse favorite des rois de France et dont la première église date approximativement de cette période. Nul ne sait si le nom du saint est en rapport avec la présence d’une tribu germanique.
    6) D’après la légende, Geneviève, qui connaissait bien Germain aurait eu une entrevue avec Clovis dans cette même paroisse, logeait-il là ? on ne sait pas.
    A l’évidence, on est bien dans le domaine du mythe et même si on peut penser “qu’il se passait quelque chose avec les Francs ici à la fin du Ve siècle”, on ne sait absolument pas quoi. Il n’y a donc pas de forteresse et on ne sait même pas si les Francs assiégeaient Paris (ou la défendaient ce qui pourrait être aussi une interprétation possible). En fait, il y a plusieurs hypothèses et personne ne connait la vérité. Ni sur l’existence d’un fortin, ni d’un siège, ni sur les relations exactes entre Clovis et Geneviève : ennemis ou alliés ?
     

    Ces quelques phrases dans ce livre ne me choquent cependant pas. Pourquoi ? Parce que le vrai sujet du livre est ailleurs. Il est dans l’exercice littéraire de création d’un continuum historique : une diachronie imaginée par la connaissance de Paris et l’intuition du lieu. Cette histoire de Paris, ce n’est pas une science, pour l’auteur, c’est son histoire. Ce n’est pas la mienne, ni la vôtre, ni celle de l’Université.

    Une histoire semblable à celle d’autres piétons de Paris avant lui : Léon-Paul Fargue, Jules Bertaut, Le marquis de Rochegude, Max-Pol Fouchet , Guitry dont je parlais il n‘y a pas si longtemps sur ce blog et d’autres, beaucoup d’autres qui ont aussi écrit leurHistoire de Paris ” de 18, 19, 20 ou 21 siècles ; avec aussi des approximations, des raccourcis, des erreurs, mais d’un même élan, d’un seul trait, magnifique. Ce sont des poètes qui font de la rue un pince-fesse avec l’Histoire et tirent la langue à l’Université. C’est tellement beau que, quelquefois, il faut faire semblant de ne pas voir la carte dans la manche. Même Michelet , le plus grand, peut-être, versait son souffle dans l’onirisme, invitait des fantômes dans sa narration. Vous voulez du roman ? Lisez de l’Histoire disait Guizot.
    Je conçois cependant que certaines énormités, comme le rêve de ce siège de Paris par Clovis, puissent choquer ceux qui passent leur vie sur une période et sur une expertise. Mais que devient ce travail scientifique ? Est-il utilisé ? D’où vient qu’on diffuse encore aujourd’hui dans les livres la même dialectique qu’au XIXe siècle ? A l’époque où la République se sentait si peu sûre d’elle-même qu’elle s’inventait des légendes, des héros et des modèles politiques de circonstance ?

    Reprenons cet exemple de Clovis. Les grandes invasions germaniques qui auraient mis fin à l’Empire Romain est maintenant une thèse qui ne tient que très difficilement sur ses pieds. Si les civitas (cités épiscopales) étaient entourées de remparts depuis la fin du IIIe siècle, on n’a aucune trace de sièges, de batailles, de témoignages de combats sanglants etc. au Ve siècle : plutôt curieux ! Par ailleurs, l’archéologie n’a jamais trouvé de traces funéraires d’une grande invasion, le nombre de tombes est infime, le phénomène est troublant. De la grande bataille des champs catalauniques (où, d’ailleurs les Goths étaient alliés aux Romains), on n’a pas retrouvé grand chose, ni même sa position exacte. 
    Dans ses tablettes de buis d’Apronenia Avitia, Pascal Quignard pointe du doigt cette surprenante constatation : l’ignorance par Apronenia, dans son journal, du fait historique, pas de Goths ou de sauvages barbares, pas de guerre meurtrière. Une décadence qui passe inaperçue aux yeux d’une contemporaine.
    En fait, on sait qu’on ne sait pratiquement rien et cela n'a pas privé des générations d’historiens de parler de fin bruyante de l’empire et d’un traumatisme considérable et ça continue encore aujourd’hui.

    J’en arrive au deuxième point d’accusation : l’à priori catholique et monarchiste. En réalité, prendre quelques erreurs avérées et les sortir du contexte d’un continuum historique qui reste très mystérieux, pour critiquer le livre n’est qu’un sophisme, bien maigre, en définitive, vis-à-vis de ce deuxième point. L’argument s’appuie sur les 322 pages consacrées jusqu’au XVIIIe siècle, versus les 55 pages qui couvrent rapidement les trois derniers (XIXe, XXe, XXIe). Ce qui pose problème est le destin de la civitas parisiorum, engendrée par des évènements et des personnages, l’Eglise et la Monarchie, qui ne sont pas les images traditionnelles de la rationalité et du sens de l’Histoire : le “peuple parisien” et son avatar de la pédagogie sociale : maillotin, cabochien, père Duchêne du faubourg Saint-Antoine, prolétaire des fortifs, communard…
    Il est regrettable qu’aujourd’hui, la fabrique de l’Histoire ne puisse s’exprimer avec légitimité en dehors de cette perception sociale. Cette diachronie, historiquement correcte, induit nécessairement les conflits sociaux comme moteur : des faits qui font passer l’homme du statut d’esclave à celui de serf, puis à celui de sujet, puis à celui de citoyen. Dans ce schéma, peu importe les hommes, peu importe les dates et tout autre cheminement, avec un parcours très différent, comme celui de Lorànt Deutsch, paraît suspect.

    Il est amusant de constater que le succès considérable de ces deux petits livres et de la série, avec ses histoires de saints et d’abbayes, ses personnages de casting gigotant sur le pavé parisien et riant de bouffonneries à la foire du Lendit fasse ce pied de nez énorme au positivisme historique, chapeau prétentieux et maquillé par la lutte des classes. C’est particulièrement drôle et on n’a pas fini d’en rire.

    En attendant, ceux qui perdent à ce bonneteau parigot rient moins de la duperie et demandent une belle : un débat sur le sujet, sur le fond : le Métronome est-il objectif ou subjectif ? la recherche et les faits sont-ils ignorés au profit du mythe ? L’Histoire est-elle une science ? Quelle bonne blague ! La ficelle est tellement grosse.
    Où pourrait avoir lieu ce débat ? Dans la rue du chat qui pêche ? afin que l’aporétique qui avoue son ignorance ne puisse s’échapper ? Ce meilleur moment est précisément  à venir, celui où dans la pièce le tartuffe se dévoile. « Ah ! Pour être historien, je n'en suis pas moins homme »