• Alexandre Lenoir, au Louvre

    En 1795, Alexandre Lenoir (1761-1839) crée le musée des monuments français (mmf). Deux ans après la naissance du musée du Louvre, c'est le deuxième musée français. Issu des destructions de la Révolution , justifié par le souhait de sauver les œuvres du passé, il a marqué ses contemporains jusqu'à sa disparition malheureuse en 1816. Il nous reste le mythe que ressuscite aujourd'hui le musée du Louvre. L'exposition propose une série de salles à l'image symétrique de l'ancien musée, aujourd'hui tombé dans l'oubli, qui se trouvait dans le couvent des Petits-Augustins.

     L'exposition montre le rôle primordial qu'a eu le jeune peintre dans la préservation du patrimoine menacé suite à la confiscation et à la mise en vente des biens du Clergé. Lenoir sauve de nombreux tombeaux et statues de culte saisies dans les églises. C'est par exemple le cas du monument funéraire de Colbert ou de la vierge de Pigalle que l'on peut voir aujourd'hui à Saint-Eustache. Il intervint également dans la protection des tombeaux de la basilique de Saint-Denis, vouées à la destruction après que les tombes ont été pillées. Les vestiges sont chronologiques à l'intérieur de salles allant du XIIIe siècle au XVIIe siècle. Chacune de ces époques se succèdent sur le parcours de l'exposition avec des pièces sauvées par Lenoir ou des illustrations du fameux musée.

    Tombeau initial de Colbert aujourd'hui à Saint-Eustache

     Lenoir a certainement été l'un de ceux qui ont le plus contribué à la création du concept de monument historique et plus généralement à la mode du Moyen Âge pendant tout le XIXe siècle. Pour l'homme des Lumières, le Moyen Age, avec sa foi touchante et ses violences instinctives, représentait la barbarie et ses productions n'avaient aucun intérêt. Aux monuments préservés dans ses collections, on peut ajouter tous ceux qu'il a contribué à préserver du vandalisme par le mouvement de retour vers l'Art d'autrefois, si caractéristique du siècle romantique. Il fut en quelque sorte un précurseur de Victor Hugo, Mérimée, Vitet, Montalembert ou Viollet-le-Duc ;  avec également ce que cela engendre de controverses parmi les historiens d'Art et les archéologues pour ce qui concerne l'exactitude des restaurations.

    Alexandre Lenoir

    En pleine révolution, le 4 janvier 1791, Alexandre Lenoir reçoit pour mission la mise en pratique du vœu de l'abbé Grégoire à l'assemblée nationale : arrêter partout les dévastations en cours et préserver ce qui pouvait encore l'être. Il devint « gardien général » des Petits-Augustins, actuellement école des Beaux-Arts, dans le faubourg Saint-Germain.

    De là, il écoutait les bruits de destruction qui parvenaient à ses oreilles, glanait les informations sur les statues en déplacement, les groupes en bronze partant pour la fonte, les couvents menacés, les églises en cours de pillage. Les démolisseurs agissaient partout : à Saint Denis, à Cluny, à Saint Germain des près et ainsi de suite… Courant d'un lieu l'autre, menacé : il reçut un jour un coup de baïonnette à la Sorbonne en essayant de préserver le tombeau de Richelieu à la Sorbonne ! achetant un bas-relief, négociant un vitrail, une statue... son bric-à-brac des Petits-Augustins devenait un gigantesque chantier de l'ancien monde : les tombeaux de seigneurs voisinaient avec les oratoires gothiques et les débris d'églises s'amoncelaient dans un butin colossal dont lui seul percevait l'importance pour les siècles à venir. De là vint l'idée d'y mettre de l'ordre et de classifier chronologiquement son trésor dans un musée ouvert aux visites.

    Basilique Saint Denis et ses tombeaux

    Le musée sera ouvert en septembre 1795. Le visiteur entrait par la rue Bonaparte dans une première salle, une ancienne chapelle du couvent, où des vestiges de Lutèce étaient classés avec des bas-reliefs mérovingiens ; puis les salles se succédaient du XIIIe au XVIIe siècle, avec une série de débris de la Sainte Chapelle pour commencer le pèlerinage, proche de la statue de Philippe le Bel. puis venait la suite des tombeaux royaux : celui de Blanche de Castille, celui de Louis XI, celui de Diane de Poitiers et celui de Mazarin par Coysevox. On voit dans l'exposition une des rares statues médiévales de Jeanne d'Arc. La salle du XVIIe contenait les tombeaux de LeBrun, de Girardon, de Colbert ainsi que la statue de Louis XIV en empereur romain, visible également dans cette exposition du Louvre.

     Lenoir avait fait du jardin du couvent un véritable paradis de verdure d'où surgissaient les statues blanches. Dans son désir poétique, il avait été amené à composer ses morceaux rapportés avec des soudures visibles, comme celles du tombeau d'Héloïse et d'Abelard, avec les débris d'une chapelle du Paraclet. Il a aussi contribué à la célébrité et la connaissance de l'apparence, des costumes et de la physionomie de ces personnages du passé qui nous sont aujourd'hui familiers, mais n'évoquaient à l'époque rien de vraiment précis et étaient, pour la plupart, inconnus du « grand public ». En cela, il a également forgé une nouvelle mémoire française.

    Hubert Robert, Vue de la salle d’introduction avant les aménagements de 1801
    Lors de la suppression du musée des monuments français en 1816, beaucoup de pièces retrouvèrent leurs églises, leurs châteaux, mais une bonne partie furent laissées au Louvre et s'y trouvent encore. Si les artistes en herbe peuvent étudier les joyaux en pierre de la Renaissance, c'est à Lenoir qu'ils le doivent. D'autres retournèrent à la basilique Saint-Denis, Lenoir se chargea lui-même du retour des gisants. Mais hélas, beaucoup de pièces disparurent, furent mutilés en cours de route ou relégués dans un coin, une fois sur place, certaines restaurations furent ratées, car les réceptionnistes n'avaient plus les moyens d'entretenir ces œuvres déplacées. Certaines tombèrent en ruine. La restitution à la source fut finalement une erreur qui s'ajoutait à une faute. Avec le recul, la suppression du musée des monuments français fut un échec. On ne raccommode pas l'Histoire.

     Lenoir en fut très affecté et se consola en noircissant des cahiers entiers de dessins, de commentaires, de réflexions et d'études qui nous permettent aujourd'hui de connaître son musée dans le détail, alors que l'herbe poussait dans les salles presque vides de l'ancien cloître, où dormaient encore quelques vestiges de sa gloire passée. Son engagement dans la restauration des Thermes et de l'Hôtel de Cluny fut pour lui un soulagement qui l'éloignait de ses souvenirs par la préparation de la réception de la collection Sommerard. Une nouvelle mission qui donnera naissance à notre musée du Moyen Âge.

    S'il est difficile d'affirmer que le Musée des monuments français ait inspiré tel ou tel artiste ou écrivain en particulier et l'ayant visité, on est infiniment redevable à Alexandre Lenoir d'avoir pu préserver le patrimoine avec tant de passion dans cette période terrible. Il convient de ne pas l'oublier, c'est précisément ce que fait cette exposition.

    D.L

    du 7 Avril 2016 au 4 Juillet 2016
    http://www.louvre.fr/expositions/un-musee-revolutionnairele-musee-des-monuments-francais-d-alexandre-lenoir