• Georges-Eugène Haussmann, l’artiste démolisseur

    Georges-Eugène Haussmann, l’artiste démolisseur
    De la ville pensée par Napoléon III et le préfet Haussmann, on retient souvent les grandes avenues, les jolis parcs, l’allure stricte des alignements ou encore le décor monotone des balcons filants. Les deux hommes ne cachaient pas leur fascination pour la cité géométrique et son outil du façonnage : la percée, même au prix d’expropriations colossales. Mais au-delà du cliché, l’observation et la réflexion révèlent des curiosités qui démontrent à quel point l’ouvrage reste exceptionnel. De cette synthèse illustrée d’exemples de Nicolas Jacquet surgissent les deux piliers essentiels sur lesquels repose l’édifice : l’école des Ponts et Chaussées et l’école d’Architecture. Le baron avait une préférence marquée pour la première afin de surmonter les obstacles rencontrés çà et là dans la topologie parisienne, mais la seconde s’invitait et tenait le gouvernail quand il s’agissait de faire des choix. Des transformations considérables qui se lisent dans les détails…

    Ravi par l’harmonie, l’ordre et l’équilibre tout autant que par l’objectif à atteindre, Haussmann était un redoutable administrateur doublé d’un artiste. Dès son entrée en fonction en 1853, il affiche la couleur, celle qui ne s’estompe pas, il démolit des quartiers, rafistole des églises, élague des perspectives. Mais subtil, il déplace des monuments, reconstruit des chefs-d’œuvre en péril, raccorde les droites et les courbures.

    J’allais droit mon chemin, sans m’en laisser divertir. Ce n’était pas toujours facile ; mais c’est une règle de conduite très simple, et je la fis mienne. G-E Haussmann, Mémoires (1890)

    Tout au long du livre, l’auteur peut lister à la Prévert ces mille et une décisions qui en font une ville qui déclenche l’admiration. Extraits : Quand les plans du dôme du nouveau Tribunal de Commerce dans l’ile de la Cité sont refusés pour qu’il puisse apparaitre dans la perspective du boulevard Sébastopol  -- Quand, au prix d’un effort colossal, la colonne de la victoire de Napoléon Ier est déplacée de 12m pour être placée exactement au centre de la nouvelle place du Chatelet -- Quand la Tour Saint-Jacques est restaurée, soulevée, puis déplacée dans son écrin de verdure -- Quand la fontaine de Léda est transportée de la rue du Regard au dos de la fontaine Médicis du Jardin du Luxembourg -- Quand la fontaine du château d’eau, ex-place de la République, est déménagée à la Villette, devant la Halle – Quand la fontaine Saint-Michel de Gabriel « Ange » Davioud monte en point de mire de la flèche de la Sainte-Chapelle -- Quand l’Hôtel-Dieu qui masque l’antique parvis est bougé sur la rive septentrionale de l’ile de la Cité -- Quand le théâtre de la Gaité Lyrique de Jacques Offenbach, à l’origine sur le boulevard du Temple, est reconstruit rue Papin près du conservatoire des arts et métiers -- Quand des façades d’hôtels particuliers détruits par les percées donnent aujourd’hui cet agencement si particulier au musée d’Histoire de la ville de Paris, au point que Madame de Sévigné ne reconnaitrait plus son hôtel Carnavalet. Quand Baltard déplace pierre par pierre la façade de l’église Saint-Eloi-des-barnabites, pour la remonter sur Notre-Dame-des-blancs-manteaux jusqu’alors dépourvue de façade ! Quant au portail de Saint-Benoît-le-détourné, cher à François Villon, il est remonté dans le frigidarium de Cluny !

    Exposition universelle de 1867La ville se prépare à offrir un spectacle limpide au touriste de l’exposition universelle de 1867, fière d’une construction mathématique sans écart pour l’œil du visiteur. Au bout du jardin des Tuileries, le Jeu de Paume répond symétriquement à l’Orangerie. Par la rue de Rivoli, Louis Visconti réunit les deux palais historiques, Louvre et Tuileries, pour un concert émerveillé terminant ainsi un projet pluriséculaire. Au Chatelet, les deux théâtres se regardent dans les yeux, presque amoureusement sous ceux de la Tour Saint-Jacques qui s’élève, gratte-ciel gothique au centre d’un jardin bordé par le boulevard Sébastopol, la rue de Rivoli et l’avenue Victoria. Etc. Le cadrage photographique millimétré en largeur de la rue de Lutèce, dans l’axe de la cour du palais de Justice, répond à celui de la rue Soufflot dans l’axe du Panthéon.

    Napoléon III et HaussmannCurieusement, dans ses mémoires, Haussmann dira que la percée dont il était le plus fier fut celle du Boulevard Saint-Germain. On touche là un autre aspect du personnage : sa capacité à composer avec les états d’âme des uns et des autres pour jouir sans entrave. L’Empereur lui-même, sans lequel rien n’aurait été possible, avait ses idées, on lui doit d’ailleurs l’abondance des espaces verts, souvenir de son exil à Londres. Il s’enorgueillissait de la réalisation de la rue des Ecoles dans laquelle il voyait le germe d’un grand Decumanus en Rive Gauche. Le géant alsacien rejeta le projet :

    une voie mal conçue, ouverte trop haut en travers de la déclivité maximum de la montagne Sainte-Geneviève pour devenir une voie de grande circulation. G-E Haussmann, Mémoires (1890)


    L’Empereur ne s’en offusqua pas, au moins officiellement. À l’inverse, Haussmann capitula devant le jeune prodige Charles Garnier qui ne voulait pas voir son œuvre prestigieuse « en style Napoléon III » masquée par des ramures, boulevard de l’Opéra. Une absence célèbre qui en fait aujourd’hui la seule avenue de Paris sans arbres. Une verdure sera imposée par Napoléon III, cette fois, aux flèches de l’arc de triomphe de l’Etoile, dont la hauteur des lotissements portaient ombrage à l’illustre monument, érigé à la gloire de son oncle : Napoléon Ier.

    Perspective de l'avenue de l'OpéraD’autres duels fameux remplissent ses mémoires, comme celui avec les riverains qui l’obligèrent à déplacer la fontaine Médicis de 30 mètres pour creuser la rue de Médicis reliant le Panthéon au Palais du Luxembourg, elle est maintenant étrangement collée aux grilles du Parc, mais elle y a gagné un superbe plan d’eau. Idem pour la perspective longtemps controversée entre l’Observatoire et le palais du Luxembourg, un axe couronné par la phénoménale fontaine des quatre parties du monde de Davioud. Insensible, il n’hésite pas à faire démolir sa maison natale en 1857, quand débute le percement du Boulevard Beaujon, qui allait devenir boulevard Haussmann. Au final, peu de projets furent bloqués.

    Une percée échoua cependant, au demeurant bien tentante et l’homme se mesure aussi devant cet épisode. Il étudia la possibilité extravagante d’appairer la colonnade du Louvre avec l’hôtel de Ville par une prestigieuse parallèle à la rue de Rivoli. C’était la finalité d’une immense avenue Victoria qui s’achève aujourd’hui brusquement à l’arrière du théâtre du Chatelet. Pourquoi cette anecdote ? car sur la route de cette perspective se trouve la contrainte de l’église de Saint-Germain l’Auxerrois qui aurait fait les frais de l’opération et aurait dû être rasée. Comme protestant, il n’ignorait pas le rôle tenu par l’église qui donna par le signal du déclenchement de la Saint Barthélemy et aurait pu se saisir de l’occasion pour épancher de vieilles rancunes. Finalement, il renonça devant l’effet provoqué sur l’opinion et devant la postérité.

    Place du Louvre
    Au lieu de cela, « L’artiste démolisseur » aménagea la place du Louvre en rasant cinq rues devant la colonnade de Perrault, fit construire une réplique de Saint-Germain-L’auxerrois qui devint la mairie du 1er Arrondissement et un Campanile servant d’articulation paysagère entre les deux monuments jumeaux.

    Un clin d’œil étonnant à l’Histoire par celui pour qui la ville de Paris n’eut, finalement, que peu de gratitude puisqu’il fallut attendre 1929 pour qu’elle commande l’hommage d’une statue en pied qui se trouve à l’angle de la rue de Laborde et du boulevard qui porte son nom. Restée longtemps au placard, elle est visiblement désaxée, amputée d’une bonne partie du décor prestigieux initialement imaginé par Victor Cogné et installée à son emplacement actuel….. en 1989 !
    D.L
    Haussmann et Mademoiselle Lutèce

    Est-il possible qu’après vous avoir tant aimée, qu’après vous avoir couverte de perles et de diamants, et fait de vous, jadis si laide, la plus belle… fille de la terre. Vous me disiez… Zut ! Ingrate !!!




    http://www.parigramme.com/livre-curiosites-du-paris-haussmannien-363.htm