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    « Diplomatie » de Volker Schlöndorff ou le retour du Refoulé
    Après le succès au théâtre de la pièce de Cédric Gely (2009), Volker Schlöndorff nous propose de retrouver en salle un épisode de la libération de Paris en août 1944 : l’ordre (réel ?) d’Hitler de détruire la ville. Les éléments à charge de cette monstruosité se résument au témoignage du gouverneur Von Choltitz et à une transcription en deux lignes…: « Paris ne doit pas tomber aux mains de l'ennemi, où il ne doit trouver qu'un champ de ruines » À partir de là, le réalisateur imagine une fiction habile qui attise la psychologie parisienne et agit comme un transfert puis au refoulement d’un souvenir insupportable. Une intelligente transformation de l’intrigue divulgue une faille : Paris sera-t-il détruit ? Une question dont on connait à l’avance la réponse, bien sûr, libère le spectre encore vivant d’une autre, bien plus importante, posée quatre ans auparavant, avec une inversion des rapports de force…

    À l’évidence, chacun connait l’issue de la négociation en huis-clos entre les deux hommes. Nordling, l’ambassadeur de Suède, joué par André Dussollier, use de persuasion et de finesse pour éviter que Von Choltitz, Nils Arestroup dans le film, n’ordonne de faire sauter Paris. Le réalisateur utilise des illusions de tension qui aident à faire monter l’angoisse. Paris, en 1944, n’avait pas l’importance stratégique présentée dans le scénario et ne constituait ni une cible pour les alliés, ni une perte catastrophique pour les Allemands. Du balcon, on perçoit au loin un bombardement imaginaire de la ville et la lumière, qui faiblit de temps en temps, s’inspire de l’atmosphère de Berlin dans le film fameux : « la chute » d’Oliver Hirschbiegel ; l’intérêt porté par Himmler à l’affaire n’est que pure spéculation, etc. Ces astuces visent à amplifier le drame et à crédibiliser la tension. La rencontre entre les deux protagonistes n’a même jamais eu lieu et il n’est nul besoin d’être grand clerc pour deviner que le vrai sujet de cette allégorie est ailleurs, c’est d’autre chose dont il est question dans cette nuit imaginaire à l’hôtel Meurice, rue de Rivoli, avec une vraie conséquence, insupportable, qui résonne encore aujourd’hui…

    Avec ce qu’il nomme lui-même une « rêverie », le réalisateur franco-allemand évoque un plaidoyer pour l’Europe unie :
    Deux axes m'ont intéressé, dit Volker Schlöndorff. D'une part réaliser une sorte de méditation-rêverie, qui partira du point de vue de la jeunesse actuelle pour mettre le passé en perspective: que serait l'Europe aujourd'hui si ce général n'avait pas désobéi à Hitler? Sur les ruines de Paris, la réconciliation franco-allemande aurait été impossible. D'autre part, il y a la dimension personnelle de l'étude de caractères, et la réflexion morale, à rebours des clichés. Choltitz n'est pas un héros positif, il n'a pas agi pour des raisons humanitaires ni culturelles. Si les bons faisaient le bien et les méchants le mal, le monde serait simple. Il arrive parfois qu'un personnage trouble fasse une bonne action. Et la décision d'un seul homme peut avoir des conséquences pour des milliers d'autres
    Je ne suis pas convaincu par cette explication compliquée : Dans l’ambiance d’intérieur feutré et les arguments échangés, souvent pertinents, se dévoile petit à petit un vrai dilemme : Vaut-il la peine de se battre contre un ennemi supérieur en nombre et mieux armé, au risque de détruire la ville et ses habitants ? . Quand Von Choltitz dit Oui, Nordling répond Non. on note d’ailleurs que ce dernier n’est pas français, ce qui souligne l’universalité du débat qui n’est pas anodin dans le contexte de cette capitale mainte fois assiégée.

    Le réalisateur et ses deux acteurs

    L’Histoire nous a donné de nombreux exemples d’une situation semblable, souvent gravée dans la mémoire des peuples : Londres, par exemple, détruite en 1940 par l’aviation de Goering ou St Petersburg entre 1941 et 1944 devant A. Hitler : 872 jours de siège ! Berlin rasé en 1945 par les soviétiques de Joukov, Moscou brulé volontairement par Rostopchine devant Napoléon en 1812 etc. Dans tous ces cas, la ville a connu une résistance acharnée et a dû être reconstruite ensuite en faisant le deuil de ses habitants et des beautés des siècles passés.

    Au cours de son histoire, Paris l’a rencontrée à plusieurs reprises, au point que l’étude des lignes de défense successives fait partie des basiques de la connaissance de la ville. En 1814, par exemple. Un monument le rappelle encore au milieu de la place de Clichy, Moncey résista pour l’honneur devant des forces considérables, quand Daumesnil refusait de livrer Vincennes. Les dégâts infligés furent modérés et il fallut beaucoup de psychologie à Louis XVIII pour empêcher Blücher de détruire le pont d’Iéna. Souvenirs bien enfouis dans la conscience parisienne. En 1870, c’était la mobilisation de la commune de Paris pour défendre la ville et conserver ses canons qui dégénéra en guerre civile, on l’oublie souvent, suivi de la destruction inutile de monuments par ses propres habitants ! En 1914, Gallieni organisa presque seul la défense de Paris, car il s’est toujours trouvé un parti pour une ville ouverte à l’ennemi, c’était déjà le cas de Thiers en 1870. Mais ce fut surtout le cas lors de la deuxième guerre mondiale avec ce qui mène au cœur de mon interprétation de ce film : fallait-il laisser Paris, ville ouverte en juin 1940 ?

    fallait-il laisser Paris, ville ouverte en Juin 1940 ? 
    À un moment clé du film, Von Choltitz évoque ce point crucial et s’en sert comme un argument qui fait mouche : Paris ne s’est pas défendu lors de l’arrivée des panzers allemands en 1940, pourquoi ce choix ? Même si la ville, si belle soit-elle, venait à être détruite, qui cela gênerait-il ?
    À
    qui appartient Paris ?
    Cette ville est-elle française ? Qui doit la défendre ? Dès cet instant, l’inversion de rôles se met en place et le transfert agit. Les Allemands, prisonniers de Paris en 1944, sont dans la même position que le gouvernement de Paul Reynaud en 1940 avec le dilemme : combattre au risque de voir la ville rasée ou fuir. On sait quel fut son choix : la fuite vers Bordeaux, puis l’aventure pitoyable à bord du Massilia.

    Le "Massilia"La décision d’abandonner Paris sera catastrophique. De nombreux ministres furent traduits devant le tribunal militaire pour « désertion devant l'ennemi », mais surtout cela conduira à un refoulement, issu d’une situation épouvantable, inédite dans l’Histoire de France et sera la source des errements qui suivront : Vichy est-il la France ou pas ? De Gaulle est-il légitime à Londres ? L’Afrique du Nord (Casablanca où le Massilia accoste le 24 Juin 1940) est-elle la France ? Puis la justification de la collaboration, puis celle de la résistance. C’est la résonance de ces évènements qui surgit de cette fiction, avec un masque : la prétendue volonté d’A.Hitler de détruire Paris. C’est le retour du refoulé. Une apparition étrange, mais très bien construite lorsqu’André Dussollier apparait la première fois dans le film, celui qui s’invite quand on ne l’attend pas, par un escalier dérobé.

    La raison pour laquelle Von Choltitz renonce à son devoir et bascule dans le camp de son contradicteur n’est d’ailleurs pas très claire.
    À
    aucun moment, il ne s’émeut des vies épargnées, des merveilles de la ville, de sa richesse culturelle ou historique. La perspective de revenir en vacances à Paris avec ses enfants pour admirer la ville qu’il aurait contribuée à sauver parait un peu mince devant la gravité de son geste.

    Diplomatie ou le retour du refoulé
    C’est un refoulement identique qui est à l’œuvre dans les évocations idéalisées de la commune de Paris ou dans célébration oubliée de la défense héroïque de mars 1814, dont on devrait justement évoquer le bicentenaire ce mois-ci, voire même dans la rareté de films sur la libération de Paris, en dépit de nombreuses victimes courageuses et de beaux exploits, dont on trouve encore certaines traces dans la ville. Ce film illustre par une allégorie  le retour d’un acte insupportable qui revient sans cesse réclamer sa justification. Il vise à préserver l’intégrité du corps mythique de la ville que nous connaissons.

    Le film s’achève sur un travelling contemporain de la Seine, bercé par la fameuse chanson de Joséphine Baker. Hasard ? Futile digression ? Ou poésie subtile qui éclaire l’inconscient de cette « diplomatie » ?

    J'ai deux amours - Mon pays et Paris - Mais à quoi bon le nier - Ce qui m'ensorcelle - c’est Paris, Paris tout entier


    La bande annonce du film

    Le curieux site « uchronique » de France Info, qui réécrit l’Histoire avec cartes à l’appui et "dossier pédagogique pour élèves de Troisième" :
    http://diplomatie.gaumont.fr/carte_interactive/#

    Canal Académie, au sujet du film de René Clément, sorti en 1966 : Paris brûle-t-il ?




    Archive de l’INA avec reconstitution onirique  :