Les Loups d’Albert Vidalie

Les Loups (Abadie,Bessieres) chanté par Reggiani
Cette chanson, de 1967, tout le monde la connaît, Serge Reggiani la chantait à la fin de ses spectacles avec de grands gestes francs et en roulant les yeux. Une musique haletante de Louis Bessieres, devenue une chanson mythique. Ce qu’on sait moins, c’est que les paroles sont d’un grand poète, romancier, scénariste, nouvelliste, expert de la langue française, parolier de génie qui composa aussi pour S.Reggiani l’étonnante “Dame de bordeaux” que l’amour danse des gavottes dans les verts du parc Montsouris. Il faisait aussi danser les mots, avec ses potes René Fallet et Antoine Blondin dans les rades de la rive gauche, du côté de la rue de Buci et souvent les trouvait sur le zinc.

Albert Vidalie aimait autant la poésie fantaisiste que la culture classique ou l’argot du bistrot de Robert Giraud. À ceux qui cherchent qui sont ses loups, qui les voient en versaillais de la commune, en nazis de 1940 paradant sur les Champs ou dans les cris “Sauvageon” des soixante-huitards , il faudrait dire que le campagnard né à Châtillon et amoureux de sa capitale en avait vu d’autres encore. Il avait lu toutes les trouvailles des brocantes, bien au-delà de la rue Daguerre et du lion de Denfert, où il vivait. C’était là son académie Goncourt. Respect.
                            "Parmi l'obscur champ de bataille
                            Rôdant sans bruit sous le ciel noir
                            Les loups obliques font ripaille ...”
                                              
Verlaine "Jadis et Naguère"
Pépin le bref en 732, Charles le Téméraire en 1477 auraient subi ce sort : être dévorés par les loups après leur mort sur un champ de bataille. Par quatre fois au moins entre 1423 et 1439, des loups affamés entrent dans Paris, dévorant une trentaine de personnes. En novembre 1438, ils pénètrent jusqu'au cœur de la cité, dévorent des chiens et, dans le quartier des Halles, la nuit, un enfant “de nuit en la place aux Chats derrière les Innocents”.
En l'an 1439, nous lisons dans "Le Journal d'un bourgeois de Paris" : "Item, en celui temps, espécialement tant comme le roi fut à Paris, furent les loups si enragés de manger chair d'homme, de femme ou d'enfant, qu'en la dernière semaine de septembre étranglèrent et mangèrent 14 personnes, tant grands que petits, entre Montmartre et la porte Saint-Antoine, tant dedans les vignes que dedans les marais; et s'ils trouvaient un troupeau de bêtes, ils assaillaient le berger et laissaient les bêtes et souvent passaient la rivière de Seine et plusieurs autres à la nage; et aux cimetières qui étaient aux champs, aussitôt qu'on avait enterré les corps, ils venaient par nuit et les déterraient et les mangeaient”
On peut lire dans le “Bestiaire de Pierre de Beauvais” daté du XIIIème siècle, une condamnation du loup sans appel car au Moyen Âge,, le loup était le bouc émissaire du Malin. Capturé vivant, il était quelquefois jugé et condamné au bûcher. Car le loup est le pire ennemi de l’agneau christ. Le Diable se transforme en loup plus volontiers qu'en tout autre animal : “Le loup représente le Diable, car celui-ci éprouve constamment de la haine pour l’espèce humaine” , d’où sa présence auprès des sorcières qui les chevauchaient pour se rendre au sabbat. Les yeux du loup qui brillent dans la nuit, ce sont les œuvres du Diable, qui paraissent belles et agréables aux hommes dépourvus de raison, et à ceux qui sont aveugles des yeux de leur cœur

Trop peu de temps après, en juin 1971, Antoine Blondin écrit :
"...Ici, le printemps et les fleurs peuvent aller se faire foutre : Vidalie est mort, l'autre nuit, dans son sommeil d'un arrêt du coeur."
Les Loups (Vidalie/Bessieres) par Serge Réggiani (1967)