• Atlas de Paris au temps de Napoléon d'Irène Delage et Chantal Prevot

    Atlas de Paris au temps de Napoléon d'Irène Delage et Chantal Prevot
    L'influence de Napoléon Ier sur l'histoire de Paris et sur son architecture est toujours un sujet controversé. En théorie, l’empereur modifia profondément la capitale qui devint le centre de son empire éphémère et la ville retrouva son lustre d’antan par ses initiatives. Loin de cette image d’Épinal, beaucoup soulignent ses échecs politiques et militaires qui provoquèrent deux occupations de la ville en deux ans, 1814 et 1815, du jamais vu pour une ville qui n'était plus fortifiée depuis Louis XIV et il laissa beaucoup de projets qui seront achevés par d'autres, à l'image de l’Arc de Triomphe de l’Étoile, qu'il ne verra jamais terminé. Pour d’autres encore, son règne voit surtout la destruction massive d'édifices religieux, à la faveur d'un urbanisme de mauvais goût, fait de modes venues d’ailleurs et d'un culte de la personnalité : l’image de la Cité Impériale en projet sur la colline de Chaillot avec sa Naumachie qui devait noyer la plaine de Grenelle reste collée au personnage comme une caricature. Tout cela est vrai, mais la réalité reste bien plus complexe. Ce livre nous donne une image extrêmement précise du visage du Paris impérial, dans le détail, il montre une activité incroyable de législateur et de visionnaire tous azimuts, en si peu de temps : seize ans, 1799 à 1815...

    Napoléon Bonaparte n’a pas laissé l’image d’un architecte de Paris comme Philippe Auguste, Henri IV, Louis XIV, Louis XV ou comme le sera son neveu Napoléon III : Pas de places prestigieuses, celle du Châtelet sera ornée d'une belle fontaine après la destruction du vieux bâtiment, mais sans véritable urbanisme alentour, celle de la Bastille restera en chantier avec son éléphant bizarre dont des milliers de rats s'échappèrent, dit-on, lorsqu'il fut détruit.  la Cité Impériale en projet à cheval sur la seineSa statue ornant la place Vendôme peut laisser penser qu'il en est l'auteur, mais ce n'est pas le cas. Il ne sera pas non plus l'homme des percées hygiéniques dans les quartiers sombres de la capitale, pas celui de perspectives prestigieuses, même si l'axe Pont de la Concorde – rue Royale lui doit beaucoup par une mise en vis à vis des colonnades du Palais-Bourbon et de la Madeleine, mais, là encore, elle ne sera pas terminée sous son règne, le temple grec à la gloire de la grande armée redeviendra ensuite une église. La rue de Rivoli, vieux rêve d'une rue impériale du Louvre à la Bastille, tracée au milieu des couvents et des hôtels particuliers démolis s’arrêtera place des Pyramides et ne sera prolongée jusqu'à l'Hôtel de Ville que par son neveu. L'initiative du palais Brongniart, place de la Bourse, sur le couvent des filles Saint Thomas lui revient également, mais ne sera terminé qu'en 1826 après 18 ans de travaux ! Même la place du Carrousel paraît suspecte, aggravée depuis par la démolition des Tuileries, qu'il ne pouvait pas deviner !

    Pour comprendre ce qui s’est vraiment passé, il faut revenir à l’état de la ville en 1799 au sortir de la Révolution. Les auteures du livre ont retenu une couverture symbolique avec cette toile d’Étienne Bouhot qui montre la place Vendôme où la colonne et la statue de Napoléon ont remplacé celle de Louis XIV , mais surtout la destruction de l'église des feuillants sur la droite : Paris est alors une ville en déconstruction.demolition du couvent  des cordeliers C'est une ville de caillasses qui n’est plus que l’ombre d’elle-même, beaucoup d'hôtels particuliers ont été pillés, sont abandonnés ou vendus à des entrepreneurs comme bien national, la ville est dévastée par les destructions : des 300 lieux de culte avant la révolution, on comptera 43 monuments rétablis au culte catholique au moment du concordat. Les zones agraires des couvents ne sont plus cultivées, l'approvisionnement restreint et l'inflation terrible. Les touristes étrangers de passage à Paris sont unanimes pour décrire une ville décharnée où de mauvaises herbes poussent dans les rues et le Palais Royal, seul endroit encore animé, est devenu un réceptacle d'ordures. La moitié de la ville est en vente et décorée de peupliers morts sur lesquels on peut lire : « arbre de la liberté »

    De cette triste réalité découle ce qui suivra après le coup d’état de Brumaire : Des chantiers de démolition occupent les chômeurs, suivis par l'élévation d’immeubles de rapport ou location, bien plus rentables que la construction d’hôtels particuliers. La nouvelle noblesse militaire occupe ceux de l’ancienne, repris avec une nouvelle ornementation douteuse à la mode égyptienne issue de la conquête de 1798 : sphinges, lions, disques solaires etc. Une mode à l'origine de l'urbanisation de la place du Caire et de son passage. On construit après avoir confisqué, vendu puis détruit : St Marcel et St Victor disparaissent respectivement en 1806 et 1811 : beaucoup de marchés sont ouverts sur les anciens couvents, mais aussi une halles aux vins, halle aux blés, halle aux innocents. Louvre : fronton de la colonnadePour Napoléon, ces halles sont « le Louvre du Peuple » , allusion à l'ancien palais qu'il transforme avec Dominique-Vivant Denon pour un musée gardien du gros butin des campagnes européennes et son visage en perruque prend sa place sur le fronton de la colonnade du Louvre. Sur des parcelles de « biens nationaux » se développent aussi des passages couverts pour traverser la ville tout en faisant ses courses dans les boutiques de mode et déjeuner dans les cafés. Le personnel de maison aristocratique, devenu chômeur, occupe une profusion de restaurants dans le secteur du Palais Royal et des boulevards (900 cafés ou restaurants à Paris en 1815). Des marchandes de mode s'ouvrent rue Vivienne, rue Richelieu ou rue St Honoré. Beaucoup de figures banales de cette époque inspireront les personnages mythiques de la comédie humaine, chez Balzac, encore adolescent sous l'Empire, comme le cousin Pons avec son trésor de bric à brac, l'usurier Gobseck ou encore le père Grandet qui comptait ses sous... 

    En 1825, Victor Hugo écrit dans sa « guerre aux démolisseurs » :

    Hugo : Guerre aux démolisseurs


    C'est pour remettre « sa » ville sur pied, maintenant capitale d'un Empire, mais aux allures de clocharde que Napoléon se livra à sa frénésie de décrets, dans un vrai souci d'en améliorer l'hygiène, la sécurité, l'allure générale, occuper ses habitants et libérer une spéculation foncière sans limite pendant tout le siècle : La réalisation du premier cadastre est effectuée en 1802, tandis que les voies sont scrupuleusement numérotées. On construit des égouts, des ponts (d'Iéna , d’Austerlitz, pont des Arts, passerelle Saint Louis), on aménage le canal saint Denis et le canal de l’Ourq, accompagnés par la construction d'une quinzaine de fontaines dans une architecture audacieuse (Mars, fontaine aux lions…) Les cimetières sont renvoyés hors les murs en 1801 : le père Lachaise, Montparnasse, Passy et Montmartre sont créés. La distribution postale est réorganisée.

    Le développement des cafés-restaurants au début du XIXe siècle
    Les sapeurs pompiers sont créés, 5 Abattoirs sont ouverts aux portes de Paris (quand auparavant l’abattage avait lieu dans les rues ou chez le boucher). L'organisation des fiacres et des messageries est revue en laissant une grande liberté aux entrepreneurs, un principe également appliqué à la presse, bien qu'étroitement surveillée, qui bénéficie de montages libéraux pour son commerce. L'université est supprimée et les lycées réorganisés militairement avec quelques créations fameuses (polytechnique, Henri IV...). L'organisation bicéphale de la capitale (préfet de police + maire) est aussi instituée à cette époque et reste encore en place aujourd'hui, tout comme ces nombreux édifices qui sont nettoyés et affectés à une fonction qu'ils animent encore de nos jours : l'ancien collège de L'Institut pour les académies, Notre-Dame pour la solennité des grands évènements nationaux et bien sûr l'hôtel des Invalides qui devient un panthéon militaire avec les transferts des restes de Turenne et de Vauban.

    Vous trouverez dans le livre d'Irène Delage et de Chantal Prevot  une photographie précise d'une capitale en mouvement telle qu'il souhaitait la voir rendue à sa gloire en dépit des enlaidissements, une ville en chantier permanent, animée de la même émotion qu'une naissance. Toutes les images de ce nouveau-né, ces détails étonnants du Paris Impérial, avec une carte par page et par thème ! s’inscrivent dans la prestigieuse collection des « atlas de paris haussmannien »  ou « atlas de paris au moyen âge » : un livre de référence à ne pas rater pour qui s’intéresse à l'épopée napoléonienne ou se passionne pour une des périodes les plus agitées de l'histoire de Paris.

    D.L



    Interview :

    4 questions à... Irène Delage, Chantal Prévot : Paris au temps de Napoléon, histoire d'un "urbanisme volontariste" (2014)