Les Rothschild, Pereira et Camondo en piste à la BnF Richelieu




Trois banquiers célèbres sont réunis par la BnF Richelieu pour une exposition originale consacrée principalement à l’un d’entre eux : James de Rothschild. Pour le bicentenaire de l’installation à Paris de la famille que Jean-Paul Sartre enfant appelait : « Les rois de Childe », sont rassemblés quelques souvenirs et œuvres d’art autour d’une évocation de la révolution industrielle et financière du XIXe siècle. Les frères Pereire et la famille Camondo complètent ce tableau de magnats célèbres dont s’inspirèrent Balzac pour Nucingen, Zola pour Gundermann ou même Stendhal avec le père Leuwen…

C’est une excellente idée d’associer ces trois noms, trois destins différents et prestigieux. Un montage ambitieux qui permet de mesurer l’importance de l’affairisme naissant et son influence industrielle et philanthropique. Une association aux conséquences durables, aux visages variés et quelquefois tragiques.

Les frères Emile et Isaac PéreireLes frères Pereira, Emile et Isaac, étaient les petit-fils d’un juif portugais qui avait francisé son nom en Pereire en arrivant en France. Emile était employé par la banque Rothschild où il développa des compétences qui lui permirent de développer ses affaires avec le baron, particulièrement avec la première ligne de Chemin de Fer, dite de l’Ouest, vers Saint-Germain-en-Laye : Une demi-heure seulement était nécessaire pour relier les Tuileries à Saint-Germain, au lieu de six heures auparavant. Un évènement considérable qui fut inauguré en grande pompe en 1837 par la reine Marie-Amélie, Le roi Louis-Philippe Ier ayant décliné l’invitation en raison des risques du voyage.

Travaux nocturnes des constructions de la rue de rivoli - gravure de jules galidrauDe nombreuses occasions leur permettent de faire fructifier leur capital dans la banque de prêt ou les assurances, mais ce sont les transformations de Paris qui leur donnent l’occasion d’apporter l’argent frais nécessaire aux expropriations et aux travaux considérables d’ Haussmann à Paris. On leur doit directement la transformation de la rue de Rivoli et la réalisation du Grand-Hôtel du Louvre (devant le Palais Royal) pour l’exposition universelle de 1855, ainsi que le lotissement de la plaine Monceau, autre opération financière juteuse réalisée en 1860. Tout comme Haussmann, qui tombera en disgrâce à la suite de la parution de ses « comptes fantastiques » par un certain Clémenceau, les frères Pereire furent mis en faillite en 1867, suite aux périlleux investissements mobiliers de leur banque, le Crédit Mobilier (dont seront issues le Crédit Lyonnais et la Société Générale). Leur compétition avec les Rothschild se terminait à l’avantage de ces derniers.

35 rue du faubourg Saint-Honoré ( aujourd’hui ambassade de Grande-Bretagne)L’exposition revient sur le plus beau “coup” des Pereire : la création de la ville d’Arcachon en 1857. Cet endroit, au bord de l’Atlantique était réputé pour son air favorable et la rémission de certaines maladies. Dans une remarquable combinaison de construction de voies ferrées, de lotissements sur place, de création de dispensaires allant même jusqu’à l’embauche de médecins, l’opération consistait à déplacer, loger et soigner la riche bourgeoisie, tout en aménageant l’endroit de certains loisirs rentables. Un montage astucieux réalisé avec les appuis politiques nécessaires. Les Pereire se firent construire comme les Rothschild des résidences somptueuses : Au 35 rue du faubourg Saint-Honoré ( aujourd’hui ambassade de Grande-Bretagne), au 45-47 rue de Monceau ,mais surtout le château d’Arminvilliers pour rivaliser en splendeur avec celui des Rothschild, à Ferrières, pas très loin. Ironiquement, à l’image de ses premiers propriétaires, la superbe bâtisse n’aura pas une fin joyeuse, puisqu’elle disparaitra sous les bombes en 1944.

abraham-behor de Camondo (coll Arts décoratifs)L’hôtel particulier d’Isaac Pereire, rue de Monceau, sera vendu aux Rothschild en 1868 qui y déposèrent leurs collections d’Art prestigieuses. À deux pas, au 63 se trouve toujours l’ancien Hôtel particulier des Camondo devenu le merveilleux musée Nissim-de-Camondo. Mais c’est au 61, qui a gardé le nom d’Hôtel de Camondo que la famille s’installe en arrivant en France en 1874. Les frères Abraham-Behor et Nissim, dont le nom de famille est d’origine espagnole, ils furent chassés par l’inquisition, arrivaient d’Istanbul avec un petit passage au-delà des Alpes où ils aidèrent financièrement l’Italie à se former entre l’occupant Autrichien et les états du Pape, ce qui leur procura un titre de noblesse, octroyé par le nouveau Roi, Victor-Emmanuel II.

La banque Camondo et Cie se distingue par sa fidélité aux emprunts de la France, qui doit faire face aux énormes exigences financières allemandes de la défaite tragique de 1870. Déjà en 1815, après l’aventure des Cent-Jours, une indemnité de guerre équivalente au budget annuel de l'État avait sonné les finances publiques et le fameux milliard des émigrés spoliés sous la Révolution, dont le Duc d’Orléans toucha à lui seul une bonne partie, avait drainé vers le pays aux abois les préteurs sur gage de toute l’Europe et en particulier les Rothschild. Abraham-Behor de Camondo participe également au financement du canal de Suez, une opération délicate en territoire Ottoman et est décoré de la Légion d’Honneur en 1889 pour les services rendus par ses banques. C’est son cousin Moïse qui constitue l’essentiel de la collection de mobilier et d'arts décoratifs français du XVIIIe siècle qui se trouve au Musée qui porte le nom de son fils, tué durant la première guerre mondiale. Le reste de la famille sera tragiquement exterminée lors de la seconde et la collection visible aujourd’hui appartient aux Arts décoratifs.

James de Rothschild d'après Hippolyte Flandrin 1864Mais la plus grande partie de cette exposition est naturellement consacrée à la famille Rothschild et particulièrement au baron James et à sa femme, qui était aussi sa nièce, Betty. Originaire de Francfort et anoblis par l’empereur d’Autriche, ils surent profiter des nations belliqueuses pour développer leurs affaires lors des coûteuses guerres Napoléoniennes. Wellington, par exemple, utilisa des fonds spéciaux de la banque pour financer son aventure espagnole et la suite, ce qui déplut fortement à la police impériale, venant d’un français. C’est surtout un prêt important au roi Louis XVIII à court d’argent et soucieux de reconstituer une noblesse, lui valut la légion d’honneur en 1823. Il deviendra ensuite le bailleur de fonds de la gauche antimonarchique en misant d’abord sur Louis-Philippe d’Orléans puis sur Garnier-Pagès, qui fut un temps le maire de Paris. Betty était une grande amie de Marie-Amélie et James devint l’homme le plus riche de France avec le futur roi des Français. Cette amitié lui coûta de voir sa maison de campagne de Suresnes brulée lors de la révolution de 1848.

Palais de Ferrières C’est dans son château de Ferrières-en-Brie, palais-des mille-et-une-nuits, selon l’expression de Napoléon III, qu’il conduit de prestigieuses réceptions où il reçoit à dîner la haute-bourgeoisie autour de plats savamment préparés par Carême mais également entourés de célébrités comme Balzac, Rossini, Berlioz, Delacroix et même Chopin, professeur de piano de sa fille. Dans ce pastiche Renaissance de 28 suites, on trouve un salon de musique Louis XVI, une salle à manger Napoléon III, un salon Louis XIV et de nombreuses autres créations luxueuses et éclectiques. L’apparat des lieux tout comme l’abondance des collections d’Art contribuèrent à la réputation du baron dans toute l’Europe et ce fut l’endroit choisi par Guillaume II et Bismarck comme résidence en 1870, durant l’invasion de la France. Le château fut pillé en 1940 et les œuvres d’Art confisquées par l’occupant allemand.

Jeton d'administrateur de la compagnie des chemins de fer du NordLa grande œuvre de la vie de James fut la création de la Compagnie des chemins de fer du Nord en 1845, dont le jeton de présence d’administrateur est exposé. Le montage était favorisé, bien évidemment, par l’ami Louis-Philippe Ier d’autant que le baron “le supplie de lui donner l’occasion de se ruiner”. Le tracé prévoyait de faire escale tout près de son château de Saint-Leu-la-Forêt, où le futur roi des Français fut élevé, mi-capétien, mi-voltairien, par Mme de Genlis. Il est également prévu de joindre ce qui deviendra l’ « Arcachon-du-Nord » : le Touquet-Paris-Plage. La couverture et la densité du réseau du nord de la France en font rapidement un succès et l’augmentation du trafic, un modèle, pour les autres compagnies qui seront à la base de la création de la SNCF en 1937.

De nombreuses autres activités sont également rapidement brossées comme le PLM, la création de l’hôpital qui porte son nom ainsi que ses activités philanthropiques ou encore les vignobles bordelais et l’écurie. Une exposition à voir absolument même si on peut regretter qu’elle soit réduite (trois salles) devant la variété des thèmes à aborder et ne donne qu’une très petite idée des richesses évoquées. Quel est l’intérêt, par exemple, de consacrer un pan entier à un arbre généalogique ? Elle donne cependant un bon témoignage d’ensemble et intéressera ceux qui souhaitent approcher le destin des différentes familles en liaison avec l’évolution industrielle et artistique du “siècle du progrès”. 

du 20 novembre 2012 au 10 février 2013
http://www.bnf.fr/fr/evenements_et_culture/anx_expositions/f.rothschild.html