• " Doisneau Paris les Halles " l'exposition à l'Hôtel de Ville.


    Quand le ventre de Paris bouge, c’est qu’il se passe quelque chose. C’est le cas aujourd’hui puisque des travaux colossaux ont repris dans ce lieu chargé de la mémoire de la ville et qui en a connu d’autres dans le passé. C’est aussi le moment choisi par la Mairie de Paris pour nous proposer cette exposition gratuite de photos de Robert Doisneau, qui nous permettent de revoir quelques images des Halles d’avant le marché de Rungis, d’avant l’exode. Revue de détail :

    Au tout début, l’espace autour de la rue des petits champs était comme son nom l’indique un espace de champs cultivés sur des marécages, le marché de Paris se situait justement à l’emplacement de la place de l’Hôtel de Ville, port bien pratique, car bordée d’une plage de sable en pente douce (grève). Cela changea dans la première partie du XIIe siècle, quand Louis VI installa le premier marché pour merciers et changeurs aux Champeaux (plaine cultivée, champs). Cette date n’est pas innocente, car elle correspond à une période de renouveau économique intense qui suivit les croisades et au retour du Roi à Paris, alors que ses prédécesseurs préféraient Senlis ou Orléans.

    Le bouleversement suivant sera le fait de son petit-fils Philippe II Auguste qui fit entourer Paris d’une enceinte mais également le marché d’un solide mur en pierre. L’abondance des denrées nouvelles et particulièrement le poisson, obligatoire en période de Jeûne et qui a laissé une trace dans la toponymie parisienne : rue poissonnière ou du faubourg poissonnière, rue des petits-carreaux. Les étals d’huîtres étaient rue Montorgueil, qui donne sur les Halles. De ce marché central, partait l’approvisionnement vers les marchés périphériques. De cette organisation, qu’on devine très efficace pour garantir la fraîcheur des produits, naquirent des halles variées pour les fruits, les draps, les toiles et les vins. Le pouvoir royal organisa de manière très stricte la réglementation, l’assainissement et les taxes associées.

    Les piliers des Halles de Paris, dans l'ancienne rue de la Tonnellerie,  Paris Ier arr., vers 1870. Gravure d'aprs Delannoy, bibliothque de la ville de Paris.La  destruction suivante sera le fait de François Ier en 1543 en raison de l’augmentation considérable des échanges à la Renaissance. Il ordonne la vente aux enchères des places vides des halles avec obligation pour les acquéreurs d'exécuter, dans des délais fixés, la démolition de bâtisses existantes et la reconstruction de « maisons et manoirs commodes ». Apparaîtront alors les “piliers des Halles”, sorte de galeries à arcades, qui tiendront jusqu’à Baltard.

    Vue d'oiseau des Halles centrales de Paris en 1863 conues par Victor BaltardL’augmentation de la population au XIXe siècle et les problèmes d’approvisionnement qui vont avec rendirent nécessaire une nouvelle destruction/reconstruction. Le préfet Rambuteau lance en 1848 un concours remporté par Victor Baltard avec une série de douze pavillons qui seront construits entre 1852 et… 1936. Baltard avait prévu de la pierre avec une charpente en métal. Haussmann, qui ne veut que “du fer, du fer, encore du fer, rien que du fer”  l’oblige à modifier son projet pour le rendre conforme. La réussite artistique et technique des pavillons sera énorme et aura une influence décisive sur de nombreuses constructions qui viendront ensuite (comme la tour Eiffel). On pense alors que l’histoire va s’arrêter là, comme beaucoup de réalisations du second empire qui sont encore là, bien en place et font l’admiration de tous. Et bien non, car le pire est à venir.

    Un siècle après les pavillons, le développement de la société de consommation est tel au XXe siècle que la vie devient impossible pour une population nocturne considérable (5000 personnes) et des échanges qui croissent de manière exponentielle. En 1969, les pavillons sont détruits, sauf un, déplacé à Nogent qui devient une salle de spectacle.
    Ce sont ces instants d’avant la destruction que Doisneau a photographiés et qui nous sont présentés dans cette exposition : les étalages, les bistrots, les bouchers, les cageots qui inondent la rue, les forts, les renforts, les bordels. 200 photos prises dans les années 50 et 60 vers les trois heures du matin, en noir et blanc avec un peu de couleur.

    Il faudra attendre 1980 pour que le trou béant soit remplacé par une gare hideuse, des commerces débranchés, des couloirs suspects où errent de jeunes désœuvrés débarqués de RER tagués. Le tout baptisé “Forum”. C’est le fameux “Châtelet-les Halles” chanté par Florent Pagny. Station balnéaire où il n’y a pas la mer. En 1873, quand Emile Zola publia son “ventre de Paris”, le héros, fugitif perdu au milieu de ce monde dur et sans pitié, s’appelait déjà Florent. Il y avait déjà cette rudesse, cette indifférence du milieu envers l’individu qui n’est pas gros et gras, preuve visible qu’il vit en dehors de la chaîne alimentaire.

    La fin du voyage ? Non ! C’est reparti en 2011 avec la future “Canopée”, littéralement “étage supérieur de la forêt, riche en biodiversité et productivité biologique”.  À défaut de mettre la mer au Châtelet, on va essayer d’y mettre la forêt. Un projet qui sent la fraîche chlorophylle, la pensée biotique, recyclique, écologique et n’ira pas de soi, et ne sera pas non plus le dernier. Rendez-vous dans mille ans aux Halles, il y aura encore des destructions et des reconstructions, quand le ventre de Paris bouge, c’est qu’il se passe quelque chose : il digère l’Histoire de Paris. Il n’y aura pas de fin.




    Doisneau, Paris les Halles - Du 8 février au 28 avril 2012
    Salon d’accueil- 29, rue de rivoli. 75004 Paris Tous les jours sauf dimanches et jours fériés, de 10 à 19h. Gratuit.