• "Beauté, morale et volupté dans l'Angleterre d'Oscar Wilde" au musée d’Orsay

    Sainte Ccile- John William Waterhouse (1849-1917) -  Christie's Images / Bridgeman Art Library
    Je passais une nouvelle fois avec grand plaisir devant le rhinocéros pour voir cette exposition au titre prometteur.
    Si “l’aesthetic movement”, version anglaise du symbolisme décadent, pouvait avoir ses particularités, je ne m’attendais pas à tant de pudeur dans l’expression, à tant de continence dans le scénario.

    J’avais retenu quelques noms connus :  Audrey Beardsley et ses gravures érotiques étonnantes et James Whistler, pourtant plutôt célèbre pour sa mère en gris et noir, mais aussi connu comme dandy provocant, charmeur et kamikaze esthétique. Oscar Wilde,  bien sûr, celui qu’on surnommait ironiquement “l’enfilanthrope”. D’autres, que je ne connaissais pas : de quoi faire un cocktail voluptueux face à la pudibonderie victorienne. Hélas, l’occasion fut ratée.
    L’esthétisme est perceptible à travers des porcelaines blanches et bleues, les plumes de paon et les chinoiseries remarquables qui nous rappellent l’influence des expositions universelles. Les tons vert-de-gris, les accessoires moyen-âge ou les drapés à l’antique entourés de bois d’ébène ou de feuilles de ginkgo permettent de se fondre dans l’ambiance d’époque mais cela dépasse difficilement le bric-à-brac fin de siècle. On est pourtant devant une tendance majeure de cette époque, un “Art Nouveau” dans la décoration intérieure et qui aura une influence décisive sur la suite en devenant vraiment populaire.
    La sensualité, ici, est quasi-absente. De pauvres dessins de Georges du Maurier, prétendu “épicurien intellectuel” qui connut la gloire avec l’histoire suivante : un vicaire est invité à prendre son petit-déjeuner chez un évêque, lequel s'écrie soudain : « Oh, mais on vous a donné un œuf pourri ! » Ce à quoi le vicaire répond : « Mais pas du tout ! Certaines parties sont très bonnes. ». Quant à l’histoire de Whistler avec l’armateur Frederick Leyland qu’il peignit en vieil avare avec des plumes de paon, elle semble bien dérisoire.reprsentation par John Everett Millais, dEsther (1865) en costume de soie chinoise.
    C’était pourtant déjà vraiment le début de la « Belle Époque » Bénie pour certains, collectionneurs, intellectuels et riches industriels qui pouvaient s’entourer de cristal  Lalique et de verrerie d'Émile Gallé, de céramiques aux animaux fantastiques, de lampes de chez Tiffany, de meubles de chez Liberty.  Le nouveau style aux lignes sinueuses et végétales s’imposera partout dans la décoration et au milieu de tout ça, le héros en bas de soie d’Oscar Wilde dans le portrait de Dorian Gray  dispose de neuf reliures différentes correspondantes à son état d’âme, à la calligraphie en volutes dorées : le vrai luxe.
    L’esthétisme et la décadence n’ont pas le visage enfantin qu’on nous donne à voir quai Anatole France. Là-bas, il semble que personne ne se souvienne pourquoi cette époque était si belle et en a gardé ce nom prestigieux. Car si de riches mécènes pouvaient vivre au milieu d’une foule d’objets extraordinaires provenant de tous les coins de la terre, ils sont en général gros et ronds, sentent le tabac noir et ne se parfument pas comme Robert de Montesquiou. Leurs femmes, elles, n’ont jamais été plus attirantes, décorées, choyées, parées. Devant tant de tentation se développe une hypocrisie jusqu’ici inconnue et si la pudeur règne, elle s’arrête à l’entrée du boudoir qui devient alcôve. Si l’étiquette sociale s’impose, le buste des femmes n’est pas admiré pour des raisons uniquement esthétiques. Madame, achetée encore adolescente, mûrit en secret les frustrations du cœur. C’est d’abord des lettres, puis des visites, des regards, puis des effleurements, des confessions, enfin des damnations, puis des remords, quelquefois des larmes et des scandales. Le mari, la femme et l’amant qui la bouscule dans une loge d’opéra : à la fin du siècle, les mœurs victoriennes (“courtoisie en public, hypocrisie en privé”) sont devenues la règle absolue de la bonne conduite.
    “Jusqu’à présent, et dans une certaine mesure, l’homme a été esclave du machinisme. Chose tragique, dès qu’il a inventé une machine pour faire son travail, il a commencé à mourir de faim” O.Wilde. L’âme humaine sous le socialisme.(1891)
    Oscar Wilde, dont les aphorismes parsèment l’exposition, sera condamné pour harcèlement d’un jeune aristocrate britannique dont il était chargé de faire l’éducation (1895). Cela ne peut faire oublier son extraordinaire talent. Séduisant, raffiné et subtil, il se convertira au catholicisme en prison, finira dans le dénuement et deviendra un mythe. Il a bien mérité cet hommage. Mais il n’aurait pas été très à l’aise dans cette exposition très convenable, un peu trop convenable, sérieusement peu pédagogique et très victorienne, au demeurant. Il considérait que l'art ne doit en aucun cas se faire le reflet de « l’humeur du temps, de l’esprit de l’époque, des conditions morales et sociales qui l’entourent ». Quant à Beardsley, les illustrations sont dans un recoin, inaccessibles. De la beauté et de la morale, certes en abondance, mais la volupté, je l’attends encore.
    Du 13 septembre 2011 au 15 janvier 2012
    Les mardi, mercredi, vendredi, samedi et dimanche de 9h30 à 18h
    Le jeudi de 9h30 à 21h45
    Plein tarif: 8 euros // Tarif réduit: 5,50 euros 
    Gratuit pour les moins de 26 ans.