• France-Allemagne 1870 aux Invalides

    Une guerre oubliée, peu compréhensible, aux motifs d'apparence futiles, nous est reconstituée avec talent aux Invalides. Ce conflit (1870), suivi de l'année terrible (1871), qui laissera un souvenir prégnant aux français jusqu'à la première guerre mondiale et une marque ineffaçable pour Paris jusque dans sa pierre. Le Second Empire s'effondre en deux mois et la Commune tiendra aussi peu longtemps, mais des années seront nécessaires pour atténuer l'effet du drame dans la  mémoire et enfouir ses raisons dans l'inconscient collectif...


    Il s'agit d'une guerre toujours absente des livres d'Histoire, aux héros oubliés dont l'origine reste peu claire aux non-initiés. Essayons d'y voir clair : Deux pays très différents se font face. La France, le second Empire plus précisément, dirigé par Napoléon III, ancré de longue date dans l'histoire européenne et unifiée en apparence au sein d'une vaste géographie, incluant des colonies, une population importante, une bourgeoisie riche et  un pouvoir fort et prestigieux. Seconde puissance mondiale après l'Angleterre, le pouvoir est largement plébiscité pour ses réalisations industrielles, économiques, politiques, établissement du suffrage universel et du droit de grève, mais qui doit en permanence justifier sa légitimité face aux monarchistes, légitimistes, orléanistes, républicains, socialistes qui n'attendent que le faux pas pour la curée et mettre fin à la fête impériale.

    De plus, l'empereur, dictateur qui se dit "socialiste" en privé, a laissé se développer une population misérable et aigrie, particulièrement à Paris et compte sur une armée musclée par les troupes coloniales, zouaves, spahis pour s'imposer dans un conflit visant à rassurer les populations laborieuses, qui ont toujours en mémoire la gloire de son oncle dans la prairies européenne. Enfin, l'empereur est malade, il n'a plus l'allant de ses jeunes années. Lui qui a si souvent joué avec les événements et misé sur la chance, compte à nouveau sur un coup favorable du destin, singulièrement généreux à son égard et déclare la guerre à l'Allemagne sur un coup de tête, un courrier provocateur de la chancellerie prussienne faisant l'effet d'un chiffon rouge devant un taureau gaulois. Je reviendrai sur les vraies raisons de cette guerre.

    Édouard Detaille Fantassins dans un chemin creux, Bataille de Champigny
    Édouard Detaille Fantassins dans un chemin creux, Bataille de Champigny

    En face, l'Allemagne n'existe pas,  mais la Prusse oui, état militaire et belliciste depuis ses origines, fondée par les teutoniques en croisade vers l'Est, alliée  aux principautés allemandes et en état de grâce depuis ses victoires militaires face au Danemark et  à une Autriche en plein déclin. Elle est surtout dirigée par un homme à poigne, Otto Von Bismarck, qui rêve de l'unité  allemande. Bismarck sait que cette unité ne peut se faire sans une victoire militaire face à la  France, cette unité que Richelieu, Louis XIV ou Talleyrand ont toujours refusé pour la paix de l'Europe. Une Allemagne forte et c'est la guerre assurée : le souvenir du premier Reich (Saint Empire Romain Germanique) toujours combattu par les Français et finalement dissous  par Napoléon Ier, fut l'engrais du romantisme allemand et de la volonté de revanche sur ceux qu'ils haïssaient plus que tout : les Français. C'est le sens de la proclamation du deuxième Reich dans la galerie des glaces de Versailles en janvier 1871, une fois la victoire obtenue. Pour les Allemands : un retour à l'état naturel des choses.

    Église Saint Jean-Baptiste de Belleville, rue de Belleville, mai 1871
    Église Saint Jean-Baptiste de Belleville, rue de Belleville, mai 1871

    Pour Napoléon III, cette déclaration de guerre face à un ennemi largement plus fort que lui sur le papier, par son infanterie et ses canons, est donc l'aveu d'échec d'une diplomatie et le dernier espoir pour éviter la constitution d'un état puissant sur les bords du Rhin. Il mise gros et perd la partie. Il perd même davantage : l'armée est humiliée, les défaites se succèdent de juillet à aout, les prisonniers nombreux et lui-même s'enferme dans Sedan avant de capituler. Des généraux prestigieux : Bazaine, Mac-Mahon, Denfert-Rochereau, Faidherbe, Chanzy se battent contre ce qui apparaît de plus en plus comme une malédiction. Les remarquables animations vidéo de l'exposition montre les mouvements de troupes et l’enchaînement  tragique des défaites.

    A Paris, incrédules devant une défaite aussi prompte, ceux qui attendaient leur heure dans l'ombre proclament la  République en renversant le régime le 4 Septembre. Les fantômes de 1848 et de 1851 sortent de la nuit pour la vengeance. Les Blanquistes revivent 1792 et comptent sur une hypothétique levée en masse pour  repousser l'ennemi alors que le tiers du pays est déjà envahi. Gambetta et Favre pilotent l'opération. Paris subit un siège aussi long qu'inutile et l'impératrice, craignant les représailles de la meute des viragos, s'enfuit : l'Empire n'existe plus, victime d'un coup de poignard dans le dos. Après un bref sursaut d'espoir et d'inutiles défaites, l'armistice est signé en janvier 1871 par les républicains, dont une majorité est monarchiste, comme le pays ! Thiers conduit le convoi des vaincus. Le cauchemar est-il fini ? Non, le pire commence.

    Alphonse de Neuville - Les Dernières cartouches

    Alphonse de Neuville
    Les Dernières cartouches


    Thiers, sauveur de la patrie
    Thiers, sauveur de la patrie

    Le 18 mars 1871, devant les yeux éberlués des Allemands qui entourent toujours Paris, les gardes nationaux de Paris refusent les dures conditions de paix, la fin du moratoire sur les loyers et la remise des canons ; ils se forment en commune insurrectionnelle, refusent l'armistice et annoncent qu'ils continuent le combat. On veut Blanqui ! À bas Trochu ! Ce qui a pour effet de bloquer le processus d'évacuation puisque les Allemands n'ont pas d'interlocuteurs légitimes ni fiables devant eux. Encore une fois, Paris aveuglée pense pouvoir se dresser seul contre le reste du pays, imposer un nouveau gouvernement et de nouvelles conditions à l'ennemi. Sans généraux de qualité, sans argent, sans stratégie, sans arme ou presque, cette nouvelle révolution allait durer deux mois dans
    la ville assiégée avec le drapeau rouge comme emblème. La dernière, cette fois. On a dit 10.000 victimes au final. Est-ce vrai ? tués par d'autres Français, dont beaucoup de marins, beaucoup de soldats des forces coloniales auxquels on faisait signer un papier garantissant qu'ils n'avaient pas de famille dans Paris avant d'y entrer.

    Siège de Paris en 1870 par Meissonnier
    Siège de Paris en 1870 par Meissonnier

    Une barricade qui attend l'ennemi Place Vendôme
    Une barricade qui attend l'ennemi - Place Vendôme 1871

    L'exposition détaille  tous ces points avec soin et pédagogie. Des vidéos explicatives de l'avancée des troupes pendant la semaine sanglante voisinent des pièces-souvenir de la souffrance endurée au cours de ces deux années. Le parcours  photographique de cette guerre oubliée montre le gouffre entre le fil des événements et le parcours mémoriel qui suivra. À l'évidence, ce drame fut bien le résultat d'un règlement de compte entre Français, jamais définitivement soldé depuis 1789. Dans l'attente, la mémoire s'est construite sur des symboles et les faits sont passés aux oubliettes : le courage des troupes, le souvenir des héros de Belfort ou de la Loire, Gambetta dans son ballon, le cliquetis du chassepot devant la force du canon Krupp, l'image des hulans et des spahis, le feu des Tuileries et surtout le terrible goût de la revanche à venir... pour l'Alsace et la Lorraine et tout le cache misère des trahisons. De quoi refonder une Nation disparue dans une tourmente inimaginable un an auparavant.

    L'Alsace , elle attend de Jean-Jacques henner
    "L'Alsace , elle attend" de Jean-Jacques Henner