• La Mode retrouvée. Les robes trésors de la comtesse Greffulhe au Musée Galliéra

    Le Palais Galliera propose de découvrir jusqu'au 20 mars les trésors la garde-robe de la Comtesse Greffulhe dont la beauté et l’élégance légendaires ont inspiré Marcel Proust et les plus grands couturiers de son temps : Worth, Fortuny, Babani, Lanvin.


    Manteaux, tenues d’intérieur, robes de jour et du soir, accompagnés d’accessoires, de portraits, de photographies de Nadar et d'un film rare qui la montre en compagnie de sa fille Élaine sur le balcon de son hôtel de la rue d'Astorg dans le VIIIe arrondissement...


    Le titre de l’évenement : "La mode retrouvée" illustre le lien, développé tout au long de cette exposition, entre les parures de l'élégantissime comtesse et l'auteur célèbre par un clin d'oeil au titre d'un des volumes de la Recherche : "Le temps retrouvé". Entre Élisabeth de Caraman-Chimay comtesse Greffulhe et le "petit Marcel", il y eut une relation platonique qui semble aujourd'hui surannée, mais pleine de mystère et qui continue de fasciner le quidam comme un conte de fées. 
    Aucun élément n’entre en elle qu’on ait pu voir chez aucune autre ni même nulle part ailleurs. Mais tout le mystère de sa beauté est dans l’éclat, dans l’énigme surtout de ses yeux. Je n’ai jamais vu une femme aussi belle...
    écrit Proust à Robert de Montesquiou, cousin d'Élisabeth, qui le fera entrer avec les Daudet dans le monde élitiste de l'aristocratie du Noble Faubourg, celle qui, à cette époque, donne encore la mesure du bon goût dans les arts et des lettres.

    La comtesse Greffulhe (1860-1952), photographiée par Nadar.

     
    Il est faible, rêveur, asthmatique et redoute par-dessus tout d'être "séparé de sa maman", mais ses connaissances du lycée Condorcet lui ouvrent les salons mythiques du faubourg Saint Germain.  Á l’affût des cercles littéraires, il se courbe devant les duchesses poudrées et flatte les snobs en cravate et pourpoints dorés. Grisé par les noms prestigieux des vieilles familles et les mondanités, "cérémonieux et désordonné, il ressemblait , écrit Colette, à un garçon d'honneur ivre". Rien ne semblait promettre sa renommée  d'aujourd'hui à l'écrivaillon de la Revue Blanche et du Figaro.

    Marcel Proust (assis) entouré par Robert de Flers et Lucien Daudet

    La belle régna sur un demi-siècle de mondanités. Par la famille Caraman-Chimay et Montesquiou-Fezensac, elle disposait d'un arbre généalogique prestigieux dans le 7e arrondissement. Y figurait, coquetterie suprême, Teresa Cabarrus, "Notre Dame de Thermidor", ex madame Tallien devenue princesse Caraman. Elle se maria à l'âge de 18 ans avec le comte Henry Greffulhe, seul héritier d'un empire financier et immobilier. Installée, Elle reçoit régulièrement chez elle les comtes et les marquis de l'ancienne France, mais aussi des républicains et rien ne la gêne de se déclarer à la fois farouchement monarchiste et dreyfusarde. Mais ce sont surtout ses relations artistiques qui lui donnent de l'éclat : Gabriel Fauré écrit pour elle sa célébrissime "Pavane", Wagner, Liszt, de passage à Paris et elle donne son appui aux ballets russes de Diaghilev. Amie de l'abbé Mugnier de la paroisse de Sainte Clotilde, elle apprécie ses fidèles, comme les Goncourt, Anatole France ou Mallarmé, probablement Huysmans, Barrès ou Valéry. Une comtesse éclairée, comme le confesseur du tout-paris aux souliers usés, en somme.

    Dans son roman, Marcel Proust fait de la comtesse Élisabeth, la duchesse Oriane, celle des Guermantes : une vieille famille égale à la maison de France avec des traits physiques très traditionnels : blonds, lèvres minces, yeux bleus. Ce sont des aristocrates mondains, plus attachés à l'esprit qu'à la terre : la duchesse met l'intelligence au-dessus de tout, surtout la sienne, impressionne par des conversations d'esthète où elle fustige les gens moins bien nés qu'elle, envieux qui ambitionnent sa condition sociale. Dédain et indifférence pour autrui voisinent avec une sur-vocation pour l'Art et les œuvres charitables, au milieu d'idées socialistes "par morale chrétienne". Les Guermantes vivent maintenant loin de la rue de Varenne, dans un hôtel particulier de la plaine Monceau, meublé au goût de la duchesse dans un style Empire. Á Paris, les Greffulhe habitent un hôtel particulier 8 rue d'Astorg, au milieu d'un vaste complexe d'hôtels et d'immeubles de rapport appartenant à la famille, que les Parisiens surnomment « le Vatican », c'est tout dire.

    La comtesse Greffulhe, l'ombre des Guermantes par Laure Hillerin


    En dépit des flagorneries de l'écrivain, la comtesse Grefflulhe, sera toujours réticente à le recevoir. À la fin de sa vie, elle écrit : 

    Ses flatteries avaient un je-ne-sais-quoi de collant qui n'étaient pas de mon goût et il y avait cette absurdité à propos de ma photographie qu'il réclamait par l'intermédiaire de Robert [ de Montesquiou ] La dernière fois que je l'ai vu, c'était au mariage de ma fille, où là encore il a mentionné ma photographie, c'était fatigant ! Guiche [son gendre] était vraiment dévoué à Proust. Je ne l'ai pas vu, après qu'il fut devenu le génie que Robert avait prédit.
    Pourtant, d'autres indices montrent, au contraire, un attachement mutuel différent. À la fois chez la comtesse qui recherchait par des invitations la présence de celui qui se cloîtrait désormais pour écrire le livre unique de sa vie, mais aussi chez l'auteur, par l'abondance de caractères d’Élisabeth tout au long du roman, chez plusieurs personnages, par son rire ou son âme, comme à celle des Guermantes. Un certain mystère rapproche toujours ces deux mythes, rassemblés par la littérature et, peut-être, la souffrance devant le temps qui passe.

    D.L


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