Anselm Kiefer
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Dès son entrée dans le vaste espace
d’accueil du Centre Pompidou, le visiteur peut découvrir une
installation monumentale d’Anselm Kiefer. À l’intérieur de
cette «maison tour», le visiteur découvre un univers fait de
plomb, matière de prédilection de l’artiste, d’eau et de
milliers de photographies prises par l’artiste au cours de sa
carrière et qui constituent une archive de données biographiques.
Une préparation de ce qui attend le visiteur dans cette exposition
surprenante…
Maison tour à l'intérieur du centre Pompidou |
Cette rétrospective du créateur
néo-expressionniste réunit près de cent cinquante œuvres dont une
soixantaine de peintures, des collages sur papier et un ensemble
d’une quarantaine de «vitrines» conçues sur mesure pour
l’exposition en 2015 sur le thème de l’alchimie, pour lequel il
est allé puiser dans une «réserve de possibles», un arsenal
d’objets en attente ...
Sous verre, ces environnements mettent
en jeu l’univers saturnien et disloqué d’un âge industriel
révolu: vieilles machines, morceaux de ferrailles rouillées,
plantes, photographies, dessins, bandes et objets de plomb usés. Non
loin des cabinets de curiosités, c’est le mystère de leur
présence que l’artiste met en avant, comme mystère propre à
l’alchimie.
Anselm Kiefer : Resurrexit
(1973)
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L’ensemble exceptionnel des tableaux
les plus emblématiques d’Anselm Kiefer, Resurrexit (1973),
Quaternität (1973), Margarethe (1981) et Sulamith (1983) mettent en
avant la question obsessionnelle de l’histoire allemande, la
dialectique sur la destruction et de la création, le deuil de la
culture pangermanique et pour l’artiste la nécessaire réactivation
de la mémoire. Une attitude qui puise sa psychologie dans la période
d’écartèlement d’avant la réunification allemande de 1990,
source historique comme le sont les nombreuses références au sein
de ses tableaux. Dans Varus (1976), Kiefer évoque à sa façon le
massacre de la forêt de Teutobourg, où les troupes du légat romain
Varus furent décimées par les germains d’Arminius, établissant
la forêt comme la matrice mythique de la communauté allemande. Une
forêt habitée par Satan, le mal, le serpent.
Né en mars 1945 (la date est
importante dans son attrait pour la ruine), l’artiste apparait très
vite comme non conformiste par son obsession à traiter de l’Histoire
et des mythes propres à la culture germanique. Il est accusé de
réveiller les démons d’un passé douloureux, quand il n’est pas
suspecté de travers nationalistes. Au cours de l’année 1969, il
s’était fait connaitre par une série d’autoportraits
photographiques où il se présente travesti, vêtu du costume
militaire que portait son père dans la Wehrmacht et faisant le salut
hitlérien, attitude provocante perçue à l’origine comme une
apologie du passé nazi allemand, mais que trahit une dérision
décelable dans les gestes et les situations, comme Chaplin en d'autres temps.
Anselm
Kiefer : Heroisches Sinnbild I (1969)
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Aux matériaux habituels de la
peinture, il adjoint de la glaise, du plâtre, des végétaux
(paille, tournesols, pavots et fougères), de la cendre, des métaux
comme le fer et surtout le plomb, qu’il utilise depuis le milieu
des années 1970. Ce sont les éléments essentiels de son
« esthétique » de la ruine. Comprenez, celle de la
nation Allemande mythifiée, berceau du romantisme, saluant les héros
nordiques, les lacs profonds, les forêts sombres de l’aube, celle
des batailles de Siegfried de Xanten et de l’art de la guerre de Clausewitz
en décadence mortifère au cours du XXe siècle.
Anselm Kiefer : Sulamith
(1983)
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L’exposition se termine
astucieusement par une évocation de Germaine de Staël, une
parisienne et de son voyage en Allemagne en 1808 où elle rencontra
les écrivains Goethe, Schiller et Schlegel, et fut à l’origine de
son livre « de l’Allemagne », publié en 1813, qui eut un retentissement considérable dans le milieu romantique
français. Au milieu d’arbres calcinés, berceau de la mythologie
allemande, de merveilleux champignons, sous la forme de collages
semblant sortis d’un traité de mycologie, font irruption, évoquant
les paradis artificiels affectionnés par les romantiques français.
Anselm Kiefer :
Evocation de Germaine de Staël (2015)
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A côté de la création pure et
courageuse, celle de son esthétisme de la ruine, l’ensemble des œuvres réunies
ici soulève une double question: celle de l’édification de la
conscience nationale allemande au 19ème siècle, datée
symboliquement par la proclamation de Versailles et celle de son
appropriation par le nazisme pour paradoxalement la détruire. Teutobourg (1er
siècle), on l’a vu, a inspiré à Kiefer une série de tableaux,
d’autres illustrent le roman national allemand.
Ses peintures sont hantées par les personnages de l’épopée des
Nibelungen (13ème siècle), revisitée par Richard Wagner avant que
les nazis ne s’en emparent à leur tour. Avec le nazisme,
l’héritage devient l’emblème du courage et de la force
guerrière du peuple germanique, mais aussi bien encombrant à
conserver. Kiefer réaffirme pour cela la nécessité de se
confronter au passé nazi, de réveiller l’amnésie collective
allemande en endossant une responsabilité dont il considère ne pas
devoir taire l’héritage, et par dessus tout en détaillant la corruption et
la manipulation dont elle fut l’objet. Il ne faut pas se tromper de lecture.
Considérant que la
réunification refermait enfin certaines blessures profondes, l’univers plastique
d’Anselm Kiefer s’est ensuite ouvert à partir du début des
années 1990 à d’autres systèmes de pensées venant enrichir et
rediriger les questionnements fondamentaux de l’artiste comme
l’ésotérisme, l’alchimie ou les univers poétiques, mais
toujours matérialisés dans le matériau : plomb, cendre, paille,
porte d’entrée symbolique d’un monde inaccessible.
D.L
Anselm
Kiefer : Saturn (2015)
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Centre Pompidou 75191
Paris cedex 04 téléphone 00 33 (0)1 44 78 12 33 métro Hôtel de
Ville, Rambuteau Horaires Exposition ouverte de 11h à 21h tous les
jours, sauf le mardi. Tarif 14€