Charles-Edouard Jeanneret, dit Le Corbusier fait l'objet d'un hommage à ne pas rater à Beaubourg pour tous les passionnés d'urbanisme parisien. C'est l'année du cinquantenaire de sa mort et un clin d'œil savoureux de voir la construction de métal honorer l'architecte suisse qui ne jurait que par le béton armé brut de décoffrage. Beaubourg c'est exactement l'anti-Corbusier. Plus sérieusement, c'est bien naturel que le musée d'Art Moderne offre cette exposition majeure à celui qui marqua l'esprit de son temps : théoricien, praticien, artiste, bon ou mauvais génie de l'architecture moderne, question qui reste ouverte, dans la lignée des Garnier, Baltard, Eiffel ou Guimard et qui mérite d'être posée...

Car Le Corbusier rêve d'éternité : il ambitionne la filiation d'Auguste Perret, de Guadet, théoricien du classicisme ou d'Adolphe Loos, auteur en 1908 d'un pamphlet qui donne le ton : "Ornement et Crime". C'est en 1920 qu'Ozenfant et Le Corbusier fondent leur revue internationale d'esthétisme "L'esprit Nouveau" où écrivent Paul Dermée, Louis Aragon, Adolphe Loos, Jean Cocteau ou Louis Lumière. Il placarde ses propres règles formelles d'architecture du mouvement moderne dans son pavillon de l'exposition internationale de 1925. Un manifeste à la source de sa gloire future :
- L'exclusivité du béton armé dans la création intérieure et extérieure, qui autorise souplesse et créativité par raccord sur une ossature indépendante en fonction du besoin : plan libre et façade libre.
- Pilotis pour élever l'habitation en belvédère et séparer les espaces inférieurs sans intérêt pour des parkings ou la circulation les machines
- Toits jardins, donc plats et lignées de fenêtres horizontales offrant une bonne pénétration de la lumière.

Il donne le modèle à suivre par la villa Savoye à Poissy (1928-1931). Nouveau classicisme fait de lignes droites, d'angles droits de formes géométriques sans ornementation. La pureté de conception s'exprime dans une "unité conforme d'habitation" destinée à résister au temps et donner l'impression "qu'elle a toujours été là". Qu'une courbe ou un vitrail apparaisse et le quidam s'émeut de l'audace ! Les perspectives lumineuses impressionnent. La guerre donnera à d'autres l'occasion d'exprimer des théories voisines à grande échelle lors de la reconstruction de villes détruites. L'exemple le plus fameux est celui de la ville du Havre reconstruite dans toute sa laideur par Auguste Perret. Le Corbusier élèvera pour sa part ses "Cités Radieuses" pour "l'architecture au service de l'homme", comprenez celui d'1m83 et sa famille type. A la nécessité de bâti rapide, à moindre cout, en pleine crise du logement et dans le baby boom répond sa "promenade architecturale" aride et minimaliste. En 1952, celle de Marseille lui vaut la légion d'honneur, prélude à une retraite méritée dans son "cabanon" provençal de 3m66 sur 3m66, unité d'habitation parfaite, faite en bois, au milieu de la verdure et proche d'un lac où il se noie bêtement le 27 aout 1965. Dans son oraison funèbre, André Malraux fera du fada de Cap-Martin un héros de l’humanité reconnaissante. Mais quel était donc ce philtre magique qui paralysait les esprits les plus affutés ? Le Corbusier génial bâtisseur du Xxe siècle ?
La réponse tient à la fois au contexte très particulier de l'époque et à ses talents de communication.

A l'évidence, les politiques pris de cours, grisés par l'esbroufe du "génie", ses lunettes rondes de savant et son éternel nœud papillon, impressionnés par ses prétendues fondations scientifiques, incultes mais voulant faire moderne, ont filé les clés de la maison urbanisme et de ses traditions. Aujourd'hui, nombreux sont ceux qui mesurent l'étendue de la manipulation et s'offusquent des dégâts occasionnés par cette vision de la ville sans en creuser les fondements et les responsabilités. C'est assez banal. Ce qui me choque davantage, c'est cette indécente prostitution des mots, cette novlangue qui alimente les commentaires : "harmonie à l'échelle humaine" - "cité radieuse" - "poème urbanistique" - "architecture au service de l'homme" - "placer l'homme au cœur de la mesure" (titre de l'expo), slogans plaqués sur une réalité systématiquement inverse.


D.L
29 avril 2015 - 3 août 2015 - Galerie 2 - Centre Pompidou, Paris
Franck Ferrand et Le Corbusier
Jean Lebrun et Le Corbusier
