• « Versailles privé » par Nicolas Jacquet





    Dans son livre « Versailles au temps de Rois », le Michelet de la petite Histoire Gérard Lenôtre regrettait que celle-ci fréquentât trop les salons et ne pénétrât jamais dans les cuisines :
    Le merveilleux palais du grand Roi nous demeure presque inconnu, qui nous conduira dans ses coulisses, dans ses offices, dans ses rôtisseries, son vaisselier, sa cave, ses buanderies, son grand Commun où étaient logés sous la même clef, six mille serviteurs ? Qui nous fera connaître ce beau sujet de la petite histoire, l'envers de Versailles
    Nicolas Jacquet
    Nicolas Jacquet nous donne des éléments de réponse par cette découverte de l'envers du décor. Dans le célèbre château, l'intimité de la vie des souverains n'était pas chose aisée. Chacun suivait les règles strictes de cet univers mondain hiérarchisé par l'étiquette, les règles de préséances, les privilèges historiques ou de circonstances comme l'ouverture des portes à un ou deux battants : les courtisans, les domestiques, la famille royale et particulièrement les souverains. La conséquence de cet univers figé où le repas d'un Roi est une cérémonie est immédiate : Derrière lambris, ors et galeries dorées, derrière chambres et antichambres se trouve un autre Versailles : celui de la vie réelle, des appartements connus seulement de quelques élus, des rencontres secrètes, des murmures cachés et des essayages de perruques avant la parade solennelle, la famille y vit, les enfants s'y agitent, des galanteries s'y nouent et le personnel de service de la cour bourdonne autour des princes et des princesses.


    Porte derobee chambre reine -®C. FouinCh de VersaillesEsca cabinets interieurs de la Reine- C. Fouin_Ch de VersaillesCabinet int de la Dauphine C. Fouin_Ch de Versailles











    Versailles est le lieu de représentation du prestige de la monarchie absolue tel qu'imaginé par Louis XIV. Tous ses successeurs, bien que psychologiquement très différents du Roi Soleil ont perpétué ce monde où tout est spectacle et le droit d'y assister : un privilège. C'est toutefois un lieu public, chacun peut s'y rendre sous réserve de louer un chapeau, un habit et une épée à l'entrée. Le décor grandiose s’accompagne de fêtes, de musique, de danse, de théâtre ; le cortège de chasses, de feux d'artifices ou de promenades en barque étourdissent le courtisan, surveillent la noblesse, séduisent l'ambassadeur de passage et affirment la supériorité du « plus grand roi du monde » sur ses contemporains. Celui qui recherche la reconnaissance, une pension ou une charge doit vivre à Versailles et suivre  le déroulement de l'emploi du temps minutieusement réglé par le Roi. Nicolas Jacquet nous décrit cette organisation avec précision, celui des dîners privatifs où le nouveau venu doit briller sans devenir assommant, s'il espère une nouvelle invitation. Le souper de retour de chasse est l'occasion de se montrer pour obtenir le privilège de tenir une chandelle, de partager quelques instants avec le souverain qui attise la concurrence entre ses sujets. Mieux encore, l'intimité peut se nicher au milieu de ses instruments astronomiques, dans sa cuisine privée ou sa salle du billard. Le courtisan passe de vestibules en antichambres, se plaît d'attendre devant une porte, s'évanouit du privilège de se voir proposer une chaise, quand d'autres restent debout. Exceptionnellement, pour un bon mot ou une plaisante attitude, cette gloire autorise à rejoindre le Roi pour un bain solennel dans l'appartement où se trouvent deux baignoires côte à côte. Une occasion d'évoquer avec l'invité les anecdotes de la journée. Des instants dont ce dernier gardera un précieux souvenir quand le rideau tombera.

    Le Roi, après avoir fait son coucher en public, se relève, passe par son cabinet du conseil, entre dans sa vraie chambre, et referme la porte
    Petit Trianon esca d honneur vu du corridor de service Ôö¼-«C. Fouin_Ch de VersaillesDerrière la représentation officielle, se trouve le domaine privé du Roi, celui qui nous intéresse, qu’occupe le cercle restreint des proches et de leurs domestiques. La Reine bien sûr, mais aussi ses enfants, ses frères, ses sœurs. Le château recèle des lieux non officiels dans lesquels s'efface la rigueur du protocole et naît la vie de famille, le travail, les passe-temps et les plaisirs cachés à tous. Ces appartements privés sont accessibles par des portes dérobées, des passages plus ou moins secrets, des escaliers sombres et périlleux, sans décor et connus de quelques-uns. Derrière les dix mètres de plafond de la galerie des glaces s'étagent jusqu'à trois niveaux d'entresols invisibles. La chambre du Roi est reliée à la chambre de la Reine par un corridor étroit, simplement orné de lucarnes d'observation au ras du sol. Par « l’œil de bœuf », il peut observer discrètement ses invités dans l'antichambre. La Reine, qui vit également en constante représentation, se replie dans ses appartements avec quinze dames de compagnie, une douzaine de femmes de chambre, une autre dizaine attachée à sa garde-robe de laquelle sortent le matin ses trois robes de la journée, cent-cinquante domestiques sont attachés au service de bouche et ainsi de suite... Près de trois cents personnes sont à son service, dont un petit nombre a le privilège de vivre dans un espace réduit à proximité des opérations, mais pour agir promptement au moindre toussotement. Marie-Antoinette, qui n'a jamais ouvert un livre, cultivait même du personnel attaché à sa bibliothèque personnelle ! Elle trouvait d'ailleurs le cérémonial de la cour parfaitement ennuyeux, au point de préférer ses biques de la bergerie du Trianon. On ne nous dit pas ce qu'en pensait la Reine Marie Leczinska qui vécut quarante-trois ans à Versailles (le record) et y eut dix enfants...accouchés en public comme il se doit.


    « l’œil de bœuf »

    Cour des cerfsS'il ne reste rien du dispositif  privé du roi Soleil et de Madame de Maintenon, le château est largement resté celui des besoins privés de son successeur : «  le bien aimé ». En dehors de la domesticité proche, peu connaissait le labyrinthe des espaces autour de la cour des cerfs. Louis XV vieillissant y vivait entouré de femmes, au cœur de ses somptueux appartements. Il fit raser l'escalier des ambassadeurs, une pure merveille, pour loger sa couvée de filles et particulièrement Adélaïde qui occupa l'étage noble jusqu’à l’arrivée d’une courtisane : Madame du Barry, née Jeanne Bécu. Cet effacement au profit d'une fille de repasseuse au passé douteux, on dit qu'elle serait passée par le parc aux cerfs, outragea fortement la sœur préférée du Roi et eut un effet désastreux sur l'opinion. Une autre courtisane, mise dans son lit par des banquiers : la marquise de Pompadour, née Jeanne Poisson, vécut aussi à proximité de l'espace intime du monarque mélancolique : Au rez-de-chaussée quand Louis occupait l’étage noble. C'est aussi au rez-de-chaussée, mais dans l'autre l'aile que vécurent les cinq dauphins qui se succédèrent dans l'interminable vieillesse du Roi Soleil.


    20150413_112033On ne soulignera jamais assez la chance que nous avons de pouvoir visiter aujourd'hui ces lieux prestigieux de la fin de la monarchie française : souvent dans un état exceptionnel et meublés « à la manière de ». Versailles a été pillé à la Révolution, beaucoup de ses locataires sont partis à l’étranger avec des objets précieux qui s'y trouvent toujours. C'est à Louis-Philippe qu’on doit la transformation en musée qui a sauvé ce château de la destruction. Victor Hugo l'a remercié : « Ce que le roi Louis-Philippe a fait à Versailles est bien. Avoir accompli cette œuvre, c'est avoir été grand comme roi et impartial comme philosophe ; c'est avoir fait un monument national d'un monument monarchique (...) c'est avoir donné à ce livre magnifique qu'on appelle l'histoire de France cette magnifique reliure qu'on appelle Versailles » Des mécènes américains ont aussi participé à ce sauvetage du patrimoine qui nous manquerait tant s'il avait suivi une autre voie, celle de la destruction que n'ont pu éviter de nombreux hôtels particuliers parisiens, dont il ne reste que des dessins. Admirables aussi sont ceux qui brûlent d'énergie à recouvrer le mobilier authentique de certaines pièces quand une rare occasion se présente. Des livres tels ceux de Nicolas Jacquet, déjà auteur de « Versailles secret et insolite » et de « Secret et curiosités du jardin de Versailles » sont aussi indispensables pour notre voyage pratique au cœur de la merveille.

    D.L

    http://www.parigramme.com/livre-versailles-prive-414.htm