• L’Amour au Moyen Âge à la Tour Jean-Sans-Peur

    L’Amour au Moyen Âge à la Tour Jean-Sans-Peur
    La Tour présente jusqu’au 9 Novembre 2014 une exposition consacrée à l’Amour au Moyen Âge. Du sérieux qui remet les choses au point, loin des fantaisies médiévales à la mode de « Game of Thrones » et consorts. Loin également de l’« Amour Courtois » qui occupe encore une bonne place dans l’imaginaire et la littérature romanesque. Un entre-deux plus complexe que prévu, mais cohérent dans les conditions sociales de siècles révolus, avec un paradoxe très étrange pour nous : l’Amour n’intervient pas dans le choix du conjoint.

    Il ne fait guère de doutes que les multiples facettes du sujet furent distinguées très tôt et traitées conformément aux usages hérités des cultures antiques. D’un côté le contrat formel entre familles : Mariage avec dot et son prolongement familial avec recherche généalogique, code d’honneur, qui perd son sens en l’absence de progéniture. En outre, le contrat de mariage ne peut se faire qu’à rang social égal et niveau d’éducation voisin, ce qui permet de réduire les surprises et les désillusions. Le but réel est le maintien de la lignée. Une procréation assistée…par le Ciel, Traité divers, Paris, Bibliothèque de l’Arsenal,ms 5206, folio 174 (XVe siècle)La femme se marie autour de 15 ans, meurt souvent en couches, entrainant un déficit qui décale l’âge du mariage chez l’homme autour de 30 ans ! La fidélité de l’épouse est requise dès lors qu’elle authentifie la légitimité des enfants, l’adultère est donc sévèrement condamné. Celui de l’homme est plus toléré s’il est transitoire et ne s’éternise pas dans une situation illégitime. Le sentiment entre époux est proche de l’amitié, telle que nous la connaissons. Les gens d’Eglise peuvent se marier jusqu’au XIIe siècle, mais les conciles reviendront dessus très tôt en raison de la tentation de privilégier leur propre progéniture au dépens du sauvetage des âmes. On estime toutefois que 30% du clergé séculier vit en concubinage, chiffre considérable.

    Decameron (le clerc partage un repas avec un couple et couche avec l’épouse alors que le mari prie sur la terrasse), Boccace, Decaméron, Paris, Bibliothèque de l’Arsenal, ms 5070, folio 108 verso, milieu du XVe siècle.

    Les clercs d’Eglise sont souvent les meilleurs séducteurs et de bons amants en raison de leurs connaissances, comme « l’Art d’Aimer » d’Ovide, de la contraception ou de leur discrétion.

    L’Amour n’est pas inconnu, s’apparente en premier lieu à un sentiment proche de l’amour du christ et ses revers, à ses souffrances. Au XIIIe siècle, un chapelain voit l’amour comme une passion, qui suscite l’obsession, voire une dépendance. Les tourterelles ou les colombes sont les premières associations dans le symbolisme associé au bestiaire animal, alors que le lapin ou le crapaud attisent plutôt la concupiscence. L’observation des animaux est une bonne source de réflexion et de classification des comportements de la part des lettrés, dont l’immense majorité est constituée de gens d’Eglise.

    Coeurs captifs, La tenture de Manière et Chère Aimable, Livre du Coeur d’Amour épris,Paris, BnF, ms Français 24399, folio 122 verso (XVe siècle)
    La maladie d’Amour est très tôt identifiée comme rendant bête, insomniaque, coupant la faim ou donnant la fièvre, l’amoureux passant du rire aux larmes semble proche de la maladie mentale. Par ailleurs, les auteurs de l’Antiquité Classique sont connus et le jugement de Pâris revient souvent dans les illustrations pour rappeler les dangers auxquels peut mener l’amour inconsidéré (La guerre de Troie, provoquée suite à l’enlèvement d’Hélène, femme de Ménélas par Pâris, aidé dans son entreprise par Aphrodite, déesse de l’Amour). L’histoire d’Héloïse et d’Abélard revient aussi comme exemple pédagogique opportun des désillusions auxquelles conduit le sentiment amoureux. L’Amour est donc considéré avec méfiance, mais bienveillance.

    Ménage à trois, Décaméron, XIVe siècle, Paris, Bibliothèque de l’Arsenal, ms 5070,ms 5070,folio 170 verso (XVe siècle)L’acte sexuel hors mariage est généralement mal vu, car ne concourant pas à la procréation « officielle ». À l’intérieur de l’union, il est au contraire encouragé pour repeupler une société où la mort est quotidiennement présente. L’Eglise le formalise méthodiquement : interdit les 2/3 de l’année, les positions érotiques admises doivent être « naturelles » et non « celles des animaux », certains aliments sont bénéfiques (figues, pêches, œufs, andouilles, raisin) alors que d’autres sont déconseillés, donnant une littérature abondante à ce sujet, associée fréquemment à des comparaisons animalières (jument, cheval, etc.). La beauté féminine se trouve dans la chevelure, le visage, dont elle est sensée représenter celle du cœur, mais surtout les jambes et “l’arrière-train”, associés à sa capacité à l’ouvrage et à celle de porter les enfants. La médecine rudimentaire voit dans le coït une aide à la guérison de la mélancolie et le sperme comme un résidu du cerveau, se propageant par la moelle épinière ! Le viol, l’inceste, l’homosexualité, la prostitution d’enfants, la sodomie sont vus comme des manifestations bestiales, voire sataniques et mènent, au mieux à l’excommunication, au pire au bûcher. La masturbation est interdite aux hommes comme “atteinte à la destinée humaine” mais elle est tolérée chez les jeunes filles en attente de mariage. L’addiction ou l’excès conduisent de toute façon en Enfer. La luxure est un péché mortel.

    Une épouse enthousiaste, Roman du comte d’Artois, Paris, BnF, ms Français 11610,folio 87 verso (XVe siècle)Un certain nombre d’idées reçues sont relevées : la ceinture de chasteté n’a pas existé et reste largement une invention du XIXe siècle, comme le droit de cuissage, tellement connu, qui propage un mythe dont les origines sont controversées. L’amour courtois n’a probablement pas eu la force qu’on lui attribue généralement dans l’imaginaire de la chevalerie médiévale et semble très auxiliaire dans les comportements. Cette désignation est d’ailleurs très tardive et semble une invention d’historiens. Dans une société où les hommes peinent à se marier, la prostitution est tolérée : « Jouir en payant, c’est jouir sans péché ». La condition de prostituée est honteuse, mais la profession règlementée à certains lieux : les « bordeaux » qui se trouvent au bord de la ville, près des enceintes. Les filles sont excommuniées, mais les églises leur sont ouvertes et elles peuvent donner l’aumône.

    Profane ou religieux, l’Amour s’exprime au Moyen Âge sous des formes diverses et surprenantes, très éloignées de celles que nous connaissons. Elles restent cohérentes entre elles dans une société homogène, structurée par la coutume et la transmission de règles morales ou pratiques qui visent à préserver l’équilibre social et la survie.
    D.L

    Du 9 avril au 9 novembre 2014. Du mercredi au dimanche de 13h30 à 18h. Tour Jean sans Peur 20 rue Étienne Marcel 75002 PARIS.