Il est un endroit à Paris, dont on parle assez peu : les abords du lac Daumesnil. Il ne profite pas des faveurs des guides touristiques. On l’oublie, mais le bois de Vincennes fait bel et bien partie administrativement de la capitale. J’ai toujours été intrigué par cet endroit. Ma curiosité venait de ce que cet aspect incongru, combinaison d’un charmant petit lac avec ses deux îlots, son temple de l’amour et sa grotte : un décor à la fois romantique d’inspiration dix-neuvième d’un côté, semblable à d’autres parcs à l’anglaise par certains aspects et de l’autre : ces espaces touffus, cette végétation désordonnée, ces grandes avenues, ces fêtes orientales et cette foire du trône qui provoque l’affluence et exhale son odeur épicée sur la pelouse de Reuilly. Il manquait le trait d’union. Il porte un nom : l’exposition coloniale…
En 1931, la France exhibe sa réussite et sa richesse. C’est un pays très riche, son budget est équilibré, le Franc solide, ses réserves d’or abondantes et le soleil ne se couche pas sur son Empire. Au même moment, l’Angleterre, pourtant également dotée d’un vaste empire colonial est presque en faillite et la France lui prête de l’argent tout comme à l’Autriche, pour éviter le rapprochement inéluctable avec l’Allemagne qui agonise et paie en rechignant ses réparations de guerre, les États-Unis font face à une terrible dépression économique et le communisme digère difficilement et en secret une Russie misérable. En France, pays encore largement agricole, si la crise n’a pas encore atteint le pays, elle est bien en train de s’installer, mais personne ne le sait.

L’homme auquel on fait appel pour organiser l’exposition coloniale n’est pas dans la liste, c’est l’illustre maréchal Lyautey. Cet ancien gouverneur du Maroc compte bien faire de cet évènement le reflet de la réussite française et le bilan complet de l’œuvre accomplie.

Si vous pouvez encore aujourd’hui naviguer en barque sur le lac, chose surprenante et quasi-unique à Paris, vous le devez aux trente bateaux proposant à l’époque le tour du lac en pirogue ou en jonque. Un chemin de fer avec six stations faisait également le tour du lac et dans le ciel tournait un dirigeable. Aujourd’hui, vous pouvez toujours voir au loin le rocher des singes, qui signale l’Afrique à portée de main : le jardin zoologique, sauvage et qui allait bien au-delà de ce que pouvait proposer le jardin des plantes. Un dépaysement garanti au milieu des bêtes sauvages : lions, éléphants, girafes, buffles, zèbres, antilopes, autruches. Destiné à n’être que provisoire, la pression du public et de la presse lui permettra même de survivre jusqu’à nos jours en étant agrandi en 1934.

“Le tour du monde en un jour” : le slogan de l’exposition sera également un succès pour une population assoifé d’exotisme tropical. Déjà, au cours de la décennie précédente, le jazz avait fait son apparition dans les bars et Joséphine Baker avait étonné Paris par ses déhanchements stupéfiants, elle venait danser seins nus et portant un pagne de bananes sur l’estrade des folies bergères. Un soir, on la vit même accompagnée d’un léopard. En cette année 1931, elle triomphe avec son « j’ai deux amours, mon pays et Paris ».
Joséphine Baker chante "J'ai deux Amours" devant Gaston Doumergue
« Autant le dire, pourquoi le nier, ce qui m’ensorcèle c’est Paris, Paris tout entier »
De nos jours, si vous assistez aux fréquentes fêtes asiatiques qui ont lieu dans le bois, près du lac et pénétrez dans les constructions au milieu des étals colorés, vous êtes bien proche des uniques pavillons restant de l’exposition : la pagode de Vincennes. Avec une subtilité toutefois, il s’agissait des pavillons du Togo et du Cameroun, consacrés à l’Afrique et n’avaient rien d’extrême-oriental. C’est pourtant la seule simulation exotique qui donne une idée du dépaysement provoqué par l’évènement et qui a même été restaurée.




Perchicot " Ah! que c'est beau l'exposition " 1931
Franck Ferrand au cœur de l'histoire de l’exposition de 1931 sur Europe 1