L’exposition coloniale de 1931 autour du Lac Daumesnil







Il est un endroit à Paris, dont on parle assez peu : les abords du lac Daumesnil. Il ne profite pas des faveurs des guides touristiques. On l’oublie, mais le bois de Vincennes fait bel et bien partie administrativement de la capitale. J’ai toujours été intrigué par cet endroit. Ma curiosité venait de ce que cet aspect incongru, combinaison d’un charmant petit lac avec ses deux îlots, son temple de l’amour et sa grotte : un décor à la fois romantique d’inspiration dix-neuvième d’un côté, semblable à d’autres parcs à l’anglaise par certains aspects et de l’autre : ces espaces touffus, cette végétation désordonnée, ces grandes avenues, ces fêtes orientales et cette foire du trône qui provoque l’affluence et exhale son odeur épicée sur la pelouse de Reuilly. Il manquait le trait d’union. Il porte un nom : l’exposition coloniale

En 1931, la France exhibe sa réussite et sa richesse. C’est un pays très riche, son budget est équilibré, le Franc solide, ses réserves d’or abondantes et le soleil ne se couche pas sur son Empire. Au même moment, l’Angleterre, pourtant également dotée d’un vaste empire colonial est presque en faillite et la France lui prête de l’argent tout comme à l’Autriche, pour éviter le rapprochement inéluctable avec l’Allemagne qui agonise et paie en rechignant ses réparations de guerre, les États-Unis font face à une terrible dépression économique et le communisme digère difficilement et en secret une Russie misérable. En France, pays encore largement agricole, si la crise n’a pas encore atteint le pays, elle est bien en train de s’installer, mais personne ne le sait. Exposition universelle de paris : L'entrée porte DoréeElle est dirigée par le personnel politique radical-socialiste interchangeable de la troisième république, à commencer par le président du conseil Pierre Laval, assisté d’Aristide Briand, d’André Maginot et d’autres dont Paul Reynaud comme ministre des colonies dont le salon est toujours visible dans le palais principal de l’exposition, à la porte Dorée. Le président de la République est un bon célibataire toujours souriant  pour qui un sou est un sou : Gaston Doumergue, également ancien ministre des colonies, qui surveille ce beau monde en recommandant « de veiller aux finances ».
L’homme auquel on fait appel pour organiser l’exposition coloniale n’est pas dans la liste, c’est l’illustre maréchal Lyautey. Cet ancien gouverneur du Maroc compte bien faire de cet évènement le reflet de la réussite française et le bilan complet de l’œuvre accomplie. Reconstitution Angkor 1931Le jour de l’ouverture, le clou de l’exposition : une reproduction impressionnante de 50m de haut du temple khmer d’Angkor Vat est dévoilée au milieu de 25 pavillons indochinois. Le succès de la manifestation sera considérable et plusieurs millions de visiteurs viendront se promener autour du lac Daumesnil qui prendra désormais son décor exotique et fantastique. Les attractions sont nombreuses et fantasmagoriques, huttes d’Afrique noire bercées par les danses folkloriques, furia de chevaux d’Afrique du Nord, déserts reconstitués, dégustation de rhum ou de punch des Antilles, visite de mosquée tunisienne (pieds nus de préférence). Les soirs, les fontaines sont majestueuses et lumineuses. les Parisiens visitent les cases indigènes, mangent avec des baguettes, font le tour du lac en sampan et se couvrent la tête d’un casque colonial vendu 10 francs. Le palais malgache, les frises syriennes et les couleurs chamarrées font un certain effet sur les artistes de l’époque. Seuls, les surréalistes s’en offusquent et créent une contre-exposition confidentielle.

Si vous pouvez encore aujourd’hui naviguer en barque sur le lac, chose surprenante et quasi-unique à Paris, vous le devez aux trente bateaux proposant à l’époque le tour du lac en pirogue ou en jonque. Un chemin de fer avec six stations faisait également le tour du lac et dans le ciel tournait un dirigeable. Aujourd’hui, vous pouvez toujours voir au loin le rocher des singes, qui signale l’Afrique à portée de main : le jardin zoologique, sauvage et qui allait bien au-delà de ce que pouvait proposer le jardin des plantes. Un dépaysement garanti au milieu des bêtes sauvages : lions, éléphants, girafes, buffles, zèbres, antilopes, autruches. Destiné à n’être que provisoire, la pression du public et de la presse lui permettra même de survivre jusqu’à nos jours en étant agrandi en 1934.

Plan de l'exposition coloniale de 1931

“Le tour du monde en un jour”
: le slogan de l’exposition sera également un succès pour une population assoifé d’exotisme tropical. Déjà, au cours de la décennie précédente, le jazz avait fait son apparition dans les bars et Joséphine Baker avait étonné Paris par ses déhanchements stupéfiants, elle venait danser seins nus et portant un pagne de bananes sur l’estrade des folies bergères. Un soir, on la vit même accompagnée d’un léopard. En cette année 1931, elle triomphe avec son « j’ai deux amours, mon pays et Paris ».


Joséphine Baker chante "J'ai deux Amours" devant Gaston Doumergue

« Autant le dire, pourquoi le nier, ce qui m’ensorcèle c’est Paris, Paris tout entier »

De nos jours, si vous assistez aux fréquentes fêtes asiatiques qui ont lieu dans le bois, près du lac et pénétrez dans les constructions au milieu des étals colorés, vous êtes bien proche des uniques pavillons restant de l’exposition : la pagode de Vincennes. Avec une subtilité toutefois, il s’agissait des pavillons du Togo et du Cameroun, consacrés à l’Afrique et n’avaient rien d’extrême-oriental. C’est pourtant la seule simulation exotique qui donne une idée du dépaysement provoqué par l’évènement et qui a même été restaurée.

Statue de Léon Drivier sur les marches du musée permanent des ColoniesL’entrée de l’exposition a également subi des variations stylistiques, le palais rectangulaire de la porte dorée subsiste et reste en excellent état avec son histoire des trois continents Afrique, Asie et Océanie sur la façade principale en pierre jaune du Poitou. Il détient le record du monde des appellations puisqu’après s’être appelé palais des colonies, il est devenu musée de la France d’outre-mer puis musée des arts africains et océaniens. C’est maintenant le musée de l’histoire de l’immigration après qu’il ait perdu ses collections au profit de celui qui a pris la relève tout comme la tradition de changer de nom régulièrement puisqu’il ne faut déjà plus parler de musée des arts premiers (?) mais de musée du Quai Branly, temporairement sûrement en attendant de porter le nom de son créateur. Salon Lyautey ®LorenzoÉlément essentiel de la reconstitution coloniale, l’aquarium tropical a subsisté à l’intérieur du palais, tout comme son hall d’entrée, la splendide salle du forum et les salons Lyautey et Reynaud. La statue qui représente la France et son Empire (et non pas Athéna et Nika) qui se trouvait initialement devant le palais des colonies a été déplacée et se trouve maintenant en tête de la fontaine de la porte Dorée. En face du palais, se trouve également le monument à la mission Marchand et à ses tirailleurs sénégalais, et il est bien loin le temps de Fachoda et des colonies…

Exposition universelle de paris. Pavillon du Togo et du CamerounMais s'il est un lieu où subsiste l'esprit de l'exposition, et où retrouver un peu de l'émotion des contrées lointaines, c'est à deux pas qu'il se trouve : au jardin d'agronomie tropicale, au fond du bois : statues, stupas, petits ponts, pavillons coloniaux plus ou moins décrépits, monuments aux morts au sein d'une végétation luxuriante. Étonnante poésie qui se dégage de cet endroit quasiment inconnu et dont on reste stupéfait qu'il ait survécu. jardin d'agronomie tropicale - mémorial des soldats malgache morts pour la FranceOn évoque même régulièrement une prochaine réhabilitation. Pourtant, cet endroit date d'une autre exposition coloniale, celle de 1907, ce qui lui a peut-être sauvé la vie et lui permet de survivre tranquillement au milieu de la forêt, aux limites territoriales de Paris, à l'abri du temps, des touristes et des ambitions culturelles.


Perchicot " Ah! que c'est beau l'exposition " 1931

Franck Ferrand au cœur de l'histoire de l’exposition de 1931 sur Europe 1