Paris vu par Hollywood à l’Hôtel de Ville
Plus de 800 films tournés sur Paris par les productions hollywoodiennes, une occasion de revenir dessus. Récemment, ce fut Hugo Cabret de Martin Scorcese, Midnight in Paris de Woody Allen, ou auparavant Ratatouille. Paris inspire, impressionne le créateur américain comme le touriste terriblement ému la première fois qu’il met les pieds dans ses rues. Très peu sont tournés à Paris, mais plutôt dans ces décors de Californie ou d’ailleurs, très virtuels. Lumière spéciale, raffinée, pour un scénario toujours accompagné d’une goutte de nostalgie, une pincée d’Histoire, quelques sentiments et de l’amour, beaucoup d’amour, un goût de vacances éternelles. Le pire et le meilleur qui permet aujourd’hui à l’Hôtel de Ville de construire cette exposition très kitch. Une profusion de scénarios où se trouve, depuis toujours, une curiosité inimitable et unique : la Parisienne…
Ce n’est pas un hasard si l’affiche met en valeur une ravissante Audrey Hepburn, héroïne de Charade de Stanley Donen (1963), un film qui figure parmi les huit qu’elle tourna sur Paris. Vous verrez à cette occasion certaines de ses robes ainsi qu’un passage d’anthologie ou elle danse frénétiquement avec Fred Astaire dans la Tour Eiffel (Funny Face, 1956), cela sur un écran monumental de 20 m de long, clou de l’exposition. Foulard sur la tête pour se protéger du vent et de la pluie, habituel dans la capitale mais également pour protéger une coupe soignée, qu’accompagne un regard ingénu, visible lorsqu’il n’est pas masqué par une paire de lunettes noires, attribut indispensable d’un mystère caché. La belle Audrey était britannique, née en Belgique et parlait couramment le français, qui serait plus qualifié pour prendre ce rôle ?
Car, au fond, qu’est-ce qui différencie Paris de Rome, Londres, Berlin ou Moscou ? c’est bien sa Parisienne. D’ailleurs, avez-vous déjà entendu parler de la Romaine, de la Londonienne, de la Berlinoise ou de la Moscovite ? Non, bien sûr. Puisque c’est un mythe, un de ceux qu’affectionne ce septième art qui n’aime rien tant que ces personnages-caricatures éternellement reproductibles, qui viennent de loin et se vendent bien.
Paris bénéficie d’une érotisation qui se traduit par les uns comme « ville de l’amour » et par d’autres en « capitale du vice ». Quartiers chauds célèbres dans le monde entier qui se sont peu à peu agglomérés pour constituer sa légende : d’abord le Palais Royal, les Grands Boulevards, puis Pigalle, Montmartre, Montparnasse, la Bastille, aujourd’hui le Marais. Rarement en même temps, l’aventure suit la Seine. Une réputation qui commence au XVIIIe siècle avec l’afflux de touristes friands du climat d’immoralité et le goût du plaisir censés y régner, favorisés par la cour du Régent, mais pas uniquement.
Le libertinage du siècle des Lumières naît dans les salons philosophiques. De ce climat de tolérance, de promiscuité qu’on sent dans les hôtels particuliers où on ne fait pas que servir le café, cette boisson à la mode mais où, sous couvert de discussions éclairées, se nouent des intrigues épistolaires que Choderlos de Laclos rend très épicuriennes chez Valmont et Madame de Merteuil. De ces marivaudages, naitra une agitation continuelle dans la capitale et se développera l’image de la femme raffinée, cultivée et brillante qui n’aime rien tant que de se comparer à ses semblables et jouer à la séduction comme en témoignent les textes de Casanova, Louis-Sébastien Mercier, Rétif de la Bretonne ou Sade. La rue ne tardera pas naturellement à suivre le modèle que secrètent les puissants.
Cet étrange jeu de l’amour et du hasard se prolongera au siècle suivant dans le roman populaire chez Balzac ou dans les théâtres et naît alors la Parisienne, demi-bourgeoise et demi-grisette, personnage aux mille visages jusqu’à sa célébration ultime par Offenbach dans sa vie parisienne. Cet imaginaire unique au monde ne cessera de fasciner l’étranger de passage cherchant une terre d’accueil pour y vivre librement ses aspirations les plus osées, celles qui sont souvent arrivées ici avant les autres villes, avec plus d’intensité et de lampions. L’apogée du genre sera à la Belle époque et jusqu’au milieu du XXe siècle où la démocratisation croissante ira de pair avec l’industrialisation mercantile de la séduction et de l’amour tarifé façon : Paris, ville bordel des années 1930. De cet imaginaire, le touriste ne sort pas intact et sa reconstitution à Hollywood n’est que la pointe élégante et maquillée. C’est précisément vers cette époque que vont les préférences des réalisateurs tant elle marqua les esprits.
D’où la fascination du cinéma américain et l’évidence du choix de Paris quand il est question d’Amour. Les exemples abondent : Casablanca avec Bogart et Bergman avouant :“nous n’avons plus rien mais il nous reste Paris” , la brûlante Satine du Moulin Rouge , les amants Gene Kelly et Leslie Caron d’un Américain à Paris, la jeune américaine maladroite Sabrina (A.Hepburn) de William Holden, transformée et rendue méconnaissable, mais si séduisante, par son séjour à Paris. Shirley MacLaine prostituée au grand cœur d’Irma la Douce. Idem l’Esméralda de Notre-Dame-de-Paris , même Marie-Antoinette de Sofia Coppola nous émeut de décors nostalgiques et d’amours improbables. Pensez-y quand vous voyez les cadenas du pont-des-arts ou du pont-neuf, le touriste sait bien que l’Amour est dans l’air.
D’abord, la Parisienne est discrète, mais ne passe pas inaperçue. Très différente de la romaine exubérante, elle ne place presque jamais un mot au-dessus de l’autre, n’accentue que la dernière syllabe et se met rarement en colère. On la dit élégante, c’est vrai et sait très bien s’habiller, mais son pouvoir réel réside dans la capacité de savoir s’habiller avec trois chiffons en restant désirable. Peu savent le faire, pas la Londonienne, par exemple, pour laquelle cet exercice est impossible. Si elle n’aime pas paraître intello, elle s’intéresse cependant à peu près à tout, lit beaucoup et peut très bien arriver à faire croire n’importe quoi sur une chose alors qu’elle n’en sait que trois fois rien.
Si le touriste la croit légère et prompte à tomber amoureuse facilement, qu’il ne s’y fie pas. Il n’échappera pas au besoin impératif du bon mot, du mot tendre et de celui qui fait sourire, mais s’il est un sujet tabou qui le disqualifiera immédiatement alors qu’il est du meilleur effet auprès d’une Berlinoise, c’est bien de l’actualité sportive. Si d’aventure l’Amour vient dans la partie, logique dans cette ville où l’on s’embrasse, ce ne sera pas celui plein de sensibilité et de tendresse d’une Moscovite qui aime par dessus tout et le fait bien savoir et il comprendra vite, tout surpris, ce que cela coûte : ici on aime, mais plus que ça : on aime être bien aimé. Cheers.
La Parisienne a son alter-égo masculin : le french lover. On pense bien sûr à Yves Montand, Jean Gabin et l’exposition s’attarde sur celui qui eut la chance de pouvoir toucher le rêve américain : Maurice Chevalier. “Momo” c’est le Parisien issu d’un milieu populaire, hâbleur, gouailleur et séducteur qui a réussi. Dis Maurice, pourquoi ta mère t’a fait si beau ? Dit la chanson. Cependant, le french lover sur la pellicule n’est souvent qu’un météore, inquiétant, manipulateur et filou, légèrement tête brulée voire un peu mac sur les bords. Le Parisien n’a pas bonne presse et même si on lui reconnait un certain charme, la séduction masculine est suspecte. C’est monsieur Verdoux de Charlie Chaplin, séducteur prompt à toutes les combines et même pire, autant dire qu’on est pas prêt de voir une américaine à Paris dans une production hollywoodienne.
Paris vu par Hollywood est ce curieux mélange de stéréotypes et d’images d’un passé révolu qui croisent sur l’Atlantique. Un temps qui semble arrêté autour des années 1900 avec des personnages ressuscités : le Moulin Rouge et le french cancan, force esthétique et surannée des danseuses faciles et des artistes bohèmes. C’est Woody Allen qui ressuscite l’appartement de Gertrude Stein et Scorcese qui revient sur Georges Méliès, les Aristochats de gouttières comme Ratatouille et ses déambulations culinaires n’y échappent pas.
Interrestingly, on retrouve la même inspiration dans un monstre à Paris et sa crue de 1910 ou dans les aventures de Mademoiselle Adèle Blanc-Sec... des films français pourtant… Il n’y a qu’à Hollywood qu’on retrouve encore les trois mousquetaires, les misérables, Phébus et Claude Frollo. Comment ne pas voir le Da Vinci code se résoudre ailleurs qu’à Paris et au Louvre ? Cette légion de décors historiques si inconnus, si mystérieux, quelquefois illogiques et meublés d’histoires d’amours fébriles et de baisers sous réverbère. S’il se fait et se refait sans cesse dans cette ville immense et inconnue, pour la plupart, s’il plait énormément, c’est qu’il puise dans un pouvoir surgissant de l’âge tendre : une émotion qui vient de l’enfance.
Paris Hollywood par Antoine de Baecque par mairiedeparis
Du 18 septembre au 15 décembre Hôtel de Ville - Salle Saint-Jean
5 rue Lobau (4e) Tous les jours de 10h à 19h sauf les dimanches et jours fériés. Dernier accès à 18h15 Gratuit
http://www.paris.fr/hollywood