• Bicentenaire 1812 et la Campagne de Russie. Partie VIII : Moscou ! Moscou !




    Au soir du 7 septembre, plus de 20 000 blessés français submergent les infirmeries et les ambulances, tandis que les russes furent sans doute deux fois plus nombreux. Faber du Faur écrit : “les routes sont jonchées de blessés, de mourants et de mort, c’étaient surtout les villages situés le long et à côté de la grande route de Kolotzkoï à Moscou qui en étaient encombrés”.

    Napoléon, déjà à plus d’une reprise, notamment après la bataille d’Eylau en 1807, ou au chevet du Maréchal Lannes mourant à Essling, a montré qu’il ne pouvait être impassible aux désastres de la guerre. Après Eylau, il s’était exclamé que lorsqu’un prince avait vu un tel charnier il ne pouvait aimer la guerre, et ne connaître du goût que pour la Paix. 25 000 blessés russes sont toutefois évacués par les leurs, ceux qui meurent sont enterrés en route, les Français restent impressionnés du soin que les russes mirent à tenter de secourir les blessés. Beaucoup sont transportés à Mojaïsk, ils sont entassés dans les maisons, les monastères, il faudra plusieurs jours pour les relever, certains restent sans secours durant plus de deux jours, et lorsque la Grande Armée battra en retraite et abandonnera Moscou, un blessé ayant survécu dans la carcasse d’un cheval en décomposition fut même retrouvé, débris incroyable d’une terrible bataille. Tous ces blessés sont entassés lorsque les français s’emparent de la ville, leur sort sera souvent des plus horribles, ils brûleront vifs dans l’incendie, par milliers..

    De Kergorre raconte « 600 blessés russes étaient tombés dans les jardins où ils vivaient de troncs de choux et de la chair humaine, et celle-ci ne manquait pas ! Je ne pus dans les huit premiers jours que leur distribuer à chacun qu’une demi-livre de vivres, beaucoup de ses malheureux périrent. Les autres à mesure qu’ils guérissaient par les soins ou la nature, s’en allaient n’étant pas gardés, on ne le pouvait pas car il aurait fallu leur donner à manger… ». Louis Lejeune "Baron Jean Dominique Larrey (1766-1843) Tending the Wounded at the Battle of Moscow"

    Du côté français, si les hommes sont un peu mieux lotis, la suite de la campagne leur sera souvent, presque toujours fatale. Les hôpitaux ne sont pas seulement des mouroirs pour cause de blessures, les épouvantables conditions sanitaires, notamment en ce qui concerne les excréments et l’hygiène favorisent la propagation de maladies, telles que la dysenterie, le typhus, les fièvres et d’autres virus parfois mortels à cause de l’épuisement physique et même moral de ces hommes. La suite montrera comment ces hommes, face à une situation de stress élevé, dû à la mort au quotidien, aux atrocités observées, deviendront insensibles, individualistes, une sorte d’instinct primitif, perdu dans les âges, au temps où les hommes ne vivaient pas mieux que les bêtes qui les entouraient.

    A Saint-Pétersbourg, Koutouzov, qui a envoyé un curieux communiqué de victoire, déclenche la liesse populaire, vite éteinte par les nouvelles contradictoires qui arrivent bientôt et ne laissent aucun doute : Moscou a été prise. Le 13 septembre, Le gouverneur de la ville, Rostoptchine recevait une lettre de lui, disant qu’il ne défendrait pas Moscou. Le lendemain, Napoléon avait la ville en vue, spectacle que les survivants de la campagne ont tous gardé dans leur mémoire : « Moscou ! Moscou ! », ses clochers dorés et colorés, la vision de la ville offerte, l’espoir de la paix, enfin !
    Napoléon n’en croit pas ses yeux et c’est en vain qu’il attend une délégation pour lui remettre les clefs de la ville. Il y pénètre dans la soirée, il n’y a pas de curieux pour voir entrer les troupes françaises qui s’installent dans le Kremlin, mais vite, vers 19 heures, les premiers incendies apparaissent dans la ville, une première fumée noire. incendie de MoscouUn peu plus tard, dans la nuit un dépôt de munition explose avec fracas vers les 23 heures. Moscou est bientôt en flammes, les soldats rencontrent des bandes hystériques d’incendiaires, armés de flambeaux, et c’est assez rapidement que l’information parvient à l’Empereur qui ne veut pas y croire. Le gouverneur Rostoptchine avait accumulé assez de matières incendiaires pour brûler une ville qui était en bois. Le feu qui commence va dévorer littéralement la ville pendant plusieurs jours, attisé par des vents défavorables. L’armée évacue avec précipitation les lieux car le danger est grand avec les grandes quantités de poudre arrivées dans le sillage de l’artillerie. Philippe de Ségur écrira “Nous marchons sur un sol de feu, sous un ciel de feu, entre deux murs de feu”. Alors que Moscou brûle du 14 au 18 septembre sans discontinuer, Napoléon pressent que le moment est décisif. Il a été surpris de prendre la ville sans défense, mais la voici anéantie. Sur 9 300 maisons et bâtiments, 800 palais et riches demeures, il n’en reste plus que 2 000 environ debout.

    Les soldats ivres dans Moscou qui bruleLes hommes, ivres de butins avoir été privés de tout et souffert longuement dans les marches et les batailles s’étaient jetés en partie sur les riches demeures de Moscou. L’incendie allumé par les Russes avait ajouté à la confusion, les descriptions de soldats avinés et braillards, à la recherche de richesses, ne manquent pas dans les mémoires. Les pelotons d’exécutions crépitaient dans les ruines de Moscou, mais ils étaient pour les incendiaires et les agitateurs pris au hasard des patrouilles.

    A Saint-Petersbourg, où il s’est réfugié, Alexandre Ier annonce qu’il a repoussé les propositions de paix de l’Empereur “invoquant l’aide du Tout-puissant au nom de l’Eglise russe, au nom du combat légitime du Peuple russe contre l’ennemi”. il n’y aurait pas de paix, même à la libération du territoire national, la guerre serait une guerre de libération de tout le continent européen, jusqu’à Paris s’il le fallait… il lui fallait donc avoir un peu plus de patience et attendre… Une attente que le vieux Koutouzov avait bien mesuré, à sa juste valeur… l’hiver arrivait.

    Source : Laurent Brayard
    http://french.ruvr.ru/2012_06_24/Campagne-de-Russie-1812-histoire/ La Voix de la Russie Голос России
    http://french.ruvr.ru/2012_07_15/campagne-1812/



    Pierre Bezhoukov lors de l’incendie de Moscou dans une adaptation russe du Guerre et Paix de Léon Tolstoï.