• Sur la Route de Jack Kerouac : L'épopée, de l'écrit à l'écran





    Jusqu’au 19 août 2012, le musée des lettres et manuscrits, sur le boulevard Saint-Germain, consacre une exposition à Jack Kerouac et à son livre culte : sur la Route, publié en 1957. Au même moment, sort en salles le film éponyme, une réalisation par Walter Salles considérée jusque-là comme impossible, mais que je trouve plutôt réussie.  

    En une seule salle du musée, on découvre le manuscrit original de 36 mètres de long de Sur la Route, écrit d’un seul rouleau-tapuscrit de papier-calque scotché. Les vitrines du décor livrent les pièces et les émotions essentielles qui font sens pour l’auteur et le visiteur : une carte qui retrace approximativement les parcours de Sal Paradise (Jack Kerouac dans le livre) d’un bord de l’Atlantique au Pacifique et vice-versa, des souvenirs, des personnages, des copies de carnets, une machine à écrire Underwood, des tubes de benzédrine, inutiles, d’après Jack, pour l’écriture puisqu’il a suffi de beaucoup de café et de jazz pour produire ses 125.000 mots du 2 au 22 avril 1951. Mais l’auteur souligne surtout sa frénésie de la vie, du verbe et du salut, la non-censure du premier jet comme un furieux principe d’écriture : 297 pages en 3 semaines, jour et nuit…

              ”J’ai décidé de faire ce que Proust a fait, mais vite”

    Des anonymes qui ont maintenant trois noms : le vrai, celui du livre et celui du film...
    La Route, c’est l’histoire de la vie débridée d’une bande de jeunes américains prônant la grande aventure dans une liberté  culturelle et sexuelle totale. Une épopée marquée, pour Sal par la rencontre de personnages marginaux et surtout de Dean Moriarty : Écervelé, jouisseur, rythmé par l’alcool, la drogue,  la musique et les filles. Encore une non-censure, mais pas de l’écriture cette fois : du désir. Deux folies parallèles avec chacun sa Route, sans ligne de mire, ni but. Qu’est-ce qui fait d’une collection de brouillons, de notes, de carnets, une œuvre ? Qu’y a-t-il au-delà des amours partiels et de l’excès sans fin ? Un résultat qui n’est pas facilement au rendez-vous, l’un y réussit, l’autre pas. Une Route qui n’est pas la même pour tous.

    Des tentatives héroïques qui posent à chaque fois sans pudeur la même question du sens. Dean Moriarty recherche son père, clochard. L’Histoire de Sal Paradise commence après la mort de son père : dans l’édition de 1957, Sur la Route débutait ainsi : « J’ai connu Dean peu de temps après qu’on a rompu ma femme et moi ». Dans le rouleau : « J’ai rencontré Dean peu de temps après la mort de mon père… ce sentiment affreux que tout était mort ».
    J’ai adoré  le montage photographique qui montre chaque personnage en réel, en acteur de roman et dans le film : Comme un album, la grande famille des héros de la recherche qui se sont trouvés par hasard sur cette Route. Des anonymes qui ont maintenant trois noms : le vrai, celui du livre et celui du film...

    Dans cette  exposition, on n’est pas surpris de croiser autour de Jack Kerouac des mots de Jack London, de Mark Twain, de Balzac et surtout de Proust, avec lequel il partage des thèmes communs : le temps, l’enfance, la mémoire. Là, la quête de sens se confond avec la recherche d’une famille, d’un partage, d’un héritage littéraire. Au bout de sa recherche, sa vocation est arrivée à terme une nuit, quelque part, dans une transe créatrice qu’il recherchait depuis longtemps. Elle accoucha d’un monument. Une synthèse mijotée pendant des années.

    des souvenirs, des personnages, des copies de carnets, une machine à écrire Underwood,
    Alors, le film de Walter Salles ? Trop sage ? Trop propre en rapport avec l’original ? Peut-être. On pourrait s’attendre à une confrontation plus brutale avec la démesure, avec l’outrance, avec la limite, au cœur du sujet mais l’essentiel est là : la Route comme principe théâtral à la recherche de l’acception et à l’appel du sens. Un livre, un film qui a mis 55 ans de réflexion avant de se faire, une exposition, un montage. Au final, c’est déjà énorme. Un temps retrouvé.

    Sur la Route (W.Salles) 2012

    L’exposition : http://www.museedeslettres.fr/public/exposition-affiche/1