• “Théâtres romantiques à Paris” au Musée de la vie romantique



    C’est à une exposition bien décevante que nous invite le musée de la rue Chaptal. Pourtant, le sujet est très riche, attrayant et se déroule dans un lieu particulièrement propice. Oui, mais voilà, il existe des visiteurs qui ne viennent pas pour prendre le thé dans le jardin et qui aiment voir traiter un sujet à fond, avec au moins une pincée d’émotion. Ce n’est pas le cas. Une bonne idée, une centaine de pièces prêtées par le musée Carnavalet, certes intéressantes et mises en valeur, mais qui, rassemblées, constituent un scénario bien répétitif, bien tristounet…

    Passe encore sur les détails pratiques qui n’aident pas au programme : aucune brochure souvenir, interdiction stricte de prendre des photos, ces pièces sombres, ce parcours en méandres avec des portes fermées entre les salles. On s’attend à l’animation du Boulevard du Crime et on trouve le Passage des Panoramas. Aucune émotion palpable, seulement cette tristesse persistante qui transpire des pièces, trop sérieux, trop monotone, pauvre théâtre romantique.

    Le sujet est cependant de taille : l’évocation du bouleversement et du succès provoqué autour des années 1830 à Paris par le passage du drame classique, très ancien et vénérable, vers une nouvelle inspiration, un nouveau spectacle, à la fois populaire et bourgeois, qui ne respecte plus les trois unités : un temps, un lieu, une action. Le 25 février 1830, à la comédie française, Hugo fait donner Hernani, Quand Dona Sol meurt sur scène, des intellectuels, jeunes, exaltés, cheveux au vent, Nerval, Gautier et d’autres provoquent les “crânes académiques et classiques” : Un nouvel esprit souffle sur le monde des Lettres et des Arts. Celui de l’émotion reine, de l’excès d’émotion même, de l’humain, de l’exotisme, de l’Histoire, de la vérité, mais toujours dans la versification. Quelques mois plus tard, ce beau monde se retrouvera dans la rue pour faire le coup de poing  durant les Trois-Glorieuses : Du Théâtre à la Révolution, il n’y a qu’un pas. La Révolution romantique : 1830 et son “armée romantique”. Le goût en France attendait son 14 juillet (L.Vitet)

    La bataille d'Hernani au Thatre Franais
    Dans Hernani, Mademoiselle Mars était Dona Sol. Vous la verrez lors de cette exposition. Avec d’autres, célèbres, Rachel, Marie d’Orval, la maitresse de Vigny, lorsqu’elle jouait Phèdre au Théâtre de la porte  Saint-Martin, Mlle Duchesnois, autre grande interprète classique, Talma, Mlle George, Eugénie Doche, Alice Ozy, Fanny Elssler, Lola Montes… Une liste à la Prévert qui nous est offerte. Les filles défilent et sont les vedettes de cette expo. De nombreuses gravures, des décors, dont certains sont effectivement très jolis, mais ne remplacent pas la vraie sensation de comprendre ce qui se jouait alors sur les planches et des chefs-d’œuvre qui y sont nés, ni pourquoi ils ont réussi, quand naîtra On ne badine pas avec l’amour de Musset en 1834 ou quand viendra, beaucoup plus tard, le Cyrano de Bergerac de Rostand, comme une apothéose. Les changements de ce théâtre sont considérables, dans les tenues des acteurs, leur jeu, les voix, les décors changeants, étonnants, des histoires époustouflantes, de toutes sortes, du vaudeville, du pantomime, du mélodrame, du bon et du mauvais. Un succès considérable, foudroyant. Un style qui n’a ni règle, ni théorie, ni chef, ni modèle. Nul besoin de connaître les 26 règles de la tragédie ou d’avoir, comme disait Lamartineun dictionnaire mythologique sous son chevet” pour pouvoir écrire des vers. Mais cela, ce n’est pas à moi de l’expliquer, mais bien au musée de la vie romantique. J’ai regretté que ce ne fut pas le cas.

    Les boulevards et leurs thatres (en bleu le Thatre Historique)Autre point oublié : l’importance du rôle social qu’a pris le théâtre. Que Talma ou Mlle Mars fu
    rent les artistes préférés de Bonaparte ou que Lola Montes fut la maitresse du Roi de Bavière ne me parait pas être au niveau du sujet dont il est question. A côté de ces anecdotes, il faut attendre la dernière salle pour avoir  une petite idée de ce que représentait le boulevard du Temple à la grande époque. Avant qu’il  soit massacré par l’artiste démolisseur. Avant que naisse la place de la République à la place du Château-d’Eau. Un endroit qui avait éclipsé le Palais-Royal et était célèbre dans toute l’Europe. Dix théâtres sur 100 mètres entre la place du Château-d’Eau et la rue d’Angoulême (rue JP.Timbaud aujourd’hui), d’autres encore en allant vers les arcs des triomphes de Louis XIV, ou en descendant vers le cirque d’Hiver. Avec une animation constante de petites saynètes destinées à attirer les foules. Une foire perpétuelle entre la Bastille et la Madeleine. Des marionnettes, le singe Taconnet, les automates, les ombres chinoises, les salons de figure de cire. Jamais Paris ne possèdera de semblables attractions aussi rapprochées.
    Potmont - Les Thatres du Boulevard du Temple (1862)
    Heureusement, on voit tout de même le tableau de Potémont qui est là pour nous le rappeler. Théâtre Impérial, des Folies, de la Gaité, des Funambules (celui des enfants du paradis et qui doit sa renommée à Deburau), les Délassements-Comiques, le Petit Lazzari au public populaire etc. Au Théâtre de la porte Saint-Martin et au Théâtre Historique, fondé par Alexandre Dumas, on peut voir Lucrèce Borgia, Marion Delorme, La Tour de Nesle, Monte-CristoLe Théâtre du Gymnase, avec sa petite façade sculptée, fondé par Caroline, duchesse de Berri…Le Théâtre des Variétés, fondé par l’extraordinaire mademoiselle Montansier.

    Vous pourrez tout de même voir quelques représentations intéressantes de ce Théâtre des Variétés (avec le Passage des Panoramas), du Théâtre du Luxembourg (bobino), de ceux des Nouveautés ou de l’Ambigu-Comique. Cette dimension aurait mérité d’être une introduction, sûrement pas une conclusion. Ce monde avait son cœur canaille et populaire à la fontaine du Château-d’Eau, et plus on s’en éloignait, vers la Bastille dans un sens ou vers la Madeleine dans l’autre, plus le populaire laissait la place au bourgeois, à l’aristo. Un monde trop compliqué à comprendre, trop compliqué à surveiller. Le Boulevard du Crime sera livré aux pioches en 1861. Une bonne vingtaine d’établissements seront rasés par les travaux d’Haussmann.

    Cette exposition, il faut commencer par la fin, et remettre tout dans le bon ordre. Mettre en avant aussi les vrais personnages de l’époque, si on y voit beaucoup d’actrices, on y voir peu d’acteurs de cette société de la Restauration, ou sont les lions et les dandys ? Musset ? le bel Eugène Sue ? ou sont les Labiche, Lemaître, l’éblouissant Roqueplan, le gros Véron, de Beauvoir ? Elle est justement un peu à l’image de la tristesse du Passage des Panoramas aujourd’hui, lui qui fût autrefois si animé, si fréquenté. Qu’est-il donc devenu ?

    THÉÂTRES ROMANTIQUES À PARIS — collections du... par paris_musees

    Musée de la vie romantique - Hôtel Scheffer-Renan
    Du mardi 13 mars 2012 au dimanche 15 juillet 2012 . http://www.vie-romantique.paris.fr