• “Mathématiques : Un dépaysement soudain” à la fondation Cartier

    Mathmatiques : Un dpaysement soudain  la fondation CartierLa fondation Cartier ouvre ses portes à la communauté des mathématiciens et sollicite les artistes pour les accompagner dans la construction de cette exposition. Les auteurs sont Michael Atiyah, Jean-Pierre Bourguignon, Alain Connes, Nicole El karaoui, Misha Gromov, Giancarlo Lucchini, Cédric Villani et Don Zagier, de grands noms du monde scientifique.

    Ils souhaitent nous transmettre la pensée abstraite des maths en une expérience sensible et intellectuelle, un “dépaysement soudain” selon la formule du mathématicien Alexandre Grothendieck.
    Si les films de Raymond Depardon et de David Lynch sont assez réussis et expliquent bien le contexte de cette discipline et les préoccupations de cette communauté, le reste de l’exposition peut laisser le spectateur sur sa faim par l’omniprésence d’effets et la faiblesse de la pédagogie. Cela donne l’occasion de s’interroger sur les maux identiques dont souffre l’enseignement, depuis des lustres et n’est pas étranger à l’aversion des jeunes pour les disciplines scientifiques. La réhabilitation n’est pas pour demain. Pourtant, les thèmes abordés pouvaient donner lieu à de belles histoires et pas seulement à des jongleries lumineuses ou sonores ou des constructions surréalistes. Au fil des salles, cependant, les noms illustres sont bel et bien là, en filigrane.
    Henri Poincar
    C’est le cas, par exemple, d’Henri Poincaré, mathématicien, physicien et philosophe, père de la théorie du chaos et grand contributeur à la Théorie de la relativité. Dernier savant, comme autrefois, à toucher à des domaines variés des mathématiques et de la physique. Il écrivait aussi des ouvrages aux frontières de la philosophie et de l’épistémologie, ce qui montre qu’il avait à l’esprit un vrai souci d’unification. Pierre philosophale moderne, cette dernière est encore à ce jour loin de nous. Tout comme le théorie du hasard posait un problème à A.Einstein, la physique quantique finira par absorber tous les rêves de cette génération. Pour Poincaré, faire des mathématiques, c’est donner le même nom à des apparences différentes. On ne peut mieux dire. Hélas, un siècle après sa mort, nous en sommes loin.
    On sait même depuis Gödel qu’il existe des théorèmes vrais non démontrables, des propositions indécidables. Indécidabilité en Mathématiques et Chaos en Physique. L’écart  entre les chercheurs en Mathématiques et en Physique n’a jamais été aussi grand. Même les physiciens reconnaissent qu’ils doivent choisir entre la théorie et l’expérience et ne peuvent plus faire grand-chose sans les expérimentateurs du CERN qui s’approchent toujours plus de l’infiniment petit, de l’insondable, presque en dehors de l’entendement.

    De la double nature ondulatoire et corpusculaire de la lumière, du point où la physique n’est plus valide, de l’incertitude, de ces corps à durée de vie infinitésimale, de l’antimatière. L’histoire est passionnante, certes, mais la Chimère n’est pas loin et quelle ironie devant le mythe de la science omnipotente, claire et limpide. Poincaré en avait surement déjà eu tristement l’intuition. Homme de lettres, dernier savant universel, sa recherche esthétique de la science en astrologie, en optique, avec les cubistes même, en ont fait aussi un grand vulgarisateur. Ce sont ces personnages qui nous manquent aujourd’hui, pour nous faire comprendre l’incompréhensible, à travers un œil neuf.

    Ce serait un vrai cadeau que ce rôle soit tenu par Cédric Villani, il en possède le talent, le charisme, en aura-t-il la destinée ? Pour moi , le ciel mathématique d’Henri Poincaré, de la fondation Cartier, par Jean-Michel Alberola, est par sa confusion extrême, très symbolique de ce qu’est devenu la science et montre exactement l’inverse de l’esprit d’universalité. Elle traduit bien l’énigme omniprésente qu’est la découverte du rôle du hasard au cœur des sciences fondamentales.

    Bref ! l’exposition a tout de même le mérite de rappeler ce grand personnage à notre souvenir en dehors de toute polémique comme ce fut le cas au sujet de la paternité de la relativité (Einstein v/s Poincaré), il y a quelques années.
    Evariste GaloisAu concours d’entrée de Polytechnique en 1873, Poincaré trouva en deux minutes la solution à un problème réputé insoluble. Le jury fut très embarrassé car, ayant obtenu Zéro en dessin et en gymnastique, notes éliminatoires, il durent transformer ces notes en 0,1 pour pouvoir le repêcher ! Quelques années plus tôt, Evariste Galois avait, lui aussi, eu quelques soucis lors de ce fameux concours. D’un esprit frondeur, il échoua à deux reprises pour avoir refusé de répondre à des questions jugées trop simples et indignes de lui. Admis à Normale Sup, il sera renvoyé pour inconduite. Il fait le coup de feu dans la rue lors des journées de 1830 et est emprisonné, ce qui ne l’empêche pas  d’inventer les nombres imaginaires qui permettent de résoudre des problèmes complexes en théorie des nombres et vous rappellent, j’en suis sûr, de lointains (et sombres ?) souvenirs.

    Hélas, son travail et ses idées seront refusés et redécouverts un demi-siècle plus tard. Il est contraint à un duel pour une histoire de cœur assez obscure et encore controversée de nos jours. La veille, il rassemble toutes ses découvertes dans un mémoire qui donnèrent des années plus tard une impulsion précieuse et largement reconnue à la recherche et aux mathématiques modernes. Le coup de feu qu’il reçut le lendemain, à l’étang de la Glacière, marque la fin dramatique de ce génie méconnu et révolté, qui disparut dans l’indifférence, né trop tôt dans un monde trop vieux.
    Poincaré, Galois et d’autres, très nombreux, auraient mérité un traitement plus expressif, plus démonstratif, plus pédagogique de ce qui reste une grande aventure humaine et de sa relation avec l’Art et la beauté du monde. Expliquer, par exemple, ce que signifie une “surface de révolution à courbure négative constante” et pas simplement empêcher les enfants d’y toucher, ou montrer pourquoi la question de savoir ce qu’il y avait avant le “Big Bang” n’a pas de sens (Nous n’avons pas de Mathématiques ou de Physique de l’instant Zéro). 

    Au bout du compte, il reste des œuvres agréables à regarder, mais un parcours avec davantage de questions que de réponses en raison, à mon sens, d’un scénario mal construit. Un dépaysement esthétique, oui certes… la fondation Cartier est clairement dans son rôle.

    Cédric Villani ou la poésie dans l'équation par telerama
    Exposition du 21 octobre 2011 au 18 mars 2012.
    Fondation Cartier pour l’art contemporain, 261 boulevard Raspail - 75014 Paris. Tél.: 01 42 18 56 50. Ouverture tous les jours sauf le lundi de 11h à 20h, nocturne le mardi jusqu’à 22h.