• Interview : "Le roi, l'écureuil et la couleuvre"

    Les 5 et 6 Mars, France 3 nous propose une reconstitution en 2 parties sur le conflit entre Colbert (joué par Thierry Frémont) et Fouquet (Lorant Deutsch), arbitré par Louis XIV (Davy Sardou). Ci-dessous une partie de l’interview que j’ai jugée intéressante à ce sujet car assez précise et fouillée. Le réalisateur est Laurent Heynemann (Vatel).
    source : Propos recueillis le 07 février 2011 à Paris. Retranscription : Raphaëlle Raux-Moreau. interview intégrale ici
    Thierry Frémont (Colbert) et Lorant Deutsch (Fouquet)
    Pour un acteur comme vous, aussi passionné d'Histoire, comme c'était de vous glisser dans la peau d'un personnage comme Fouquet ?
    Lorànt Deutsch (Nicolas Fouquet): Un bonheur... Surtout un personnage aussi méconnu que lui, alors qu'on connaît les grands commis de l'Etat de nos Rois. Il y a eu Sully pour Henri IV, des gens comme Jacques Coeur, on connaît le Cardinal Mazarin, Richelieu, on connaît donc Colbert, on connaît l'Abbé Dubois, Vergennes, Necker et on ne connaît pas Fouquet. Alors, que c'est peut-être le plus important d'entre eux, derrière Richelieu...
    Au cours des deux épisodes, dès que Colbert apparaît à l'écran, il parle de Fouquet. C'est une véritable obsession...
    Lorànt Deutsch : Si [son obsession] était à ce point comme ça, on ne le saura jamais. On ne saura jamais par quel engrenage, par quel mécanisme, Colbert a particulièrement entraîné et participé à la chute de Fouquet. Ce qui est sûr, c'est que très vite, très tôt, Colbert - qui était d'une extraction bourgeoise et qui avait donc besoin d'acquérir ses lettres de noblesse - s'est totalement livré corps et âme à Louis XIV et a essayé de développer un réseau qui a commencé à frictionner avec le réseau de Fouquet. A l'époque, vous savez, on est vraiment dans des clientélismes, dans des réseaux. C'est les bons amis, c'est vraiment des espèces de traditions qu'on doit au Moyen-Age avec des corporations et des Compagnons. Et la politique, c'est pétri de ça. La politique, c'est des services rendus. C'est comme ça qu'on gère le pouvoir. C'est pas en massacrant quelqu'un, au contraire, c'est de la faiblesse. On le voit d'ailleurs avec les évènements qu'il y a eu en Tunisie ou en Egypte. A partir du moment où l'on utilise la force, c'est fini, vous avez perdu ou alors il faut raser tout le monde. On le voit aussi avec l'échec de l'Irak... Dès que vous utilisez la force c'est perdu, ou alors il faut détruire tout le monde. Il y a une phrase de je ne sais plus quel chef de guerre qui dit : "pour nettoyer l'eau d'un aquarium, il faut vider l'aquarium". Il faut dégager tout le monde ou ne pas utiliser la force. Donc, la force c'est une manifestation de la faiblesse, donc la politique ce n'est pas la force. La politique, c'est le fait de favoriser, de déplacer, de bouger des pions, donc de rendre des services. Et donc, Colbert, pour monter, il a besoin de rendre des services à ses clients. Or, ses clients sont de plus en plus gênés par les clients de Fouquet. Il y a donc deux mecs qui manipulent, deux parrains en quelque sorte. Ils parrainent et pour pouvoir continuer à parrainer et avoir de l'influence, il faut qu'ils écartent celui qui a trop de présence à côté. Donc effectivement Colbert, plus il est monté, plus lui et tous ses réseaux sont entrés en opposition avec ceux de Fouquet. Il fallait donc qu'un réseau disparaisse...
    Pourtant, plusieurs personnes essaient de l'avertir...
    Lorànt Deutsch : De tous les biographes que j'ai lu sur Fouquet, il n'y en a pas un qui n'emploie le mot "naïf" [à son égard]. Il avait tellement d'affection, de fidélité, de loyauté pour son Roi qu'il était persuadé qu'il n'allait rien lui arriver, même s'il avait comme ça, à côté, une vie un peu exaltée, magnifique, presque munificente, plus royaliste que le Roi en quelque sorte. Non seulement, il avait ses réseaux puissants qui le garantissaient d'une mauvaise surprise et surtout il était persuadé que le Roi ne pouvait pas se passer de lui puisque le Roi ne pouvait compter sur personne au niveau de l'argent. Personne ne prêtait au Roi, il ne remboursait jamais ! Donc, il n'y avait plus un créancier. Les Lombards, les Italiens.. Dès qu'ils voyaient que Louis XIV voulait des sous, pfiou... ils se sauvaient, ils rentraient chez eux. C'était un très mauvais créancier. Donc, il lui fallait un homme de paille au Roi, il lui fallait une caution. La caution, c'était Fouquet. Le Roi a besoin de 250 000 euros, il va demander à un créancier qui va lui dire qu'il n'a plus rien. Le Roi sait qu'il n'aura rien, donc il va voir Fouquet et lui dit qu'il a besoin de 500 000 euros. Fouquet lui dit : "ok, je m'en occupe" et il va voir un créancier. Grâce à ses réseaux, il a des positions, des postes, des services et des rentes... Parce que Fouquet n'a pas des coffres d'argent. Il n'a jamais eu de sous et Louis XIV non plus. Le Trésor, le budget, c'est très faible. Mais ce sont les Impôts, les taxes et on va dire le crédit à venir... C'est comme ça qu'on payait à l'époque et Louis XIV payait aussi comme ça. Il essayait de récupérer des terres à des anciens féodaux, à d'anciens Seigneurs, à d'anciens Barons... Et puis, il y a aussi des territoires qu'il arrivait un petit peu à grignoter même si Louis XIV, contrairement à ce que l'on croit, n'était pas un Roi de guerre, n'était pas un conquérant. J'ai lu des erreurs incroyables sur lui. Quand il va à la guerre, il est contraint. Il n'a jamais déclaré la guerre. Il a surtout voulu une chose, qui est la principale caractéristique de son règne et, hélas, de ses défaites, c'est qu'il voulait garantir les frontières naturelles de la France. Gérer ces frontières, cela a été l'épine dorsale du royaume de France. Les Ardennes, la ligne Maginot c'est pas nouveau, ça a toujours été ça. Et à partir du moment où les Pays-Bas, les Prussiens ou les protestants ont commencé à s'agiter et à pénétrer par l'Est et le Nord, ça a été l'obligation pour Louis XIV de contrer, de faire des guerres...
    La suite de l’interview : ici