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  • Cranach et son temps (Musée du Luxembourg)

     

    Lucas Cranach l'AncienLe musée du Luxembourg de Paris lève le voile sur les œuvres raffinées de Lucas Cranach, nombreux portraits et figures féminines énigmatiques. Une occasion de retrouver le XVIème siècle, l’Allemagne, un endroit précis : Wittenberg, où naissent de profonds bouleversements politiques et religieux : La Réforme.

    Au début, Wittenberg n’est qu’un bourg désolé de Saxe. Frédéric III “Le Sage” veut en faire le centre culturel de l’Allemagne. Il crée un château, une église, puis une université qui deviendra fameuse où enseigneront  Martin Luther, père de la Réforme en Allemagne, mais aussi  Philipp Melanchthon (son successeur, doctor magister à 17 ans !). Frédéric a une collection de 17.000 reliques dont quelques brins de paille de la mangeoire de l’étable où est né le Christ, une fiole contenant du lait de Marie, 204 fragments des dépouilles des enfants massacrés par Hérode, des fragments d’os ou des viscères à l’authenticité douteuse. Il  les expose dans son château où un simple regard des fidèles permet d’obtenir des indulgences (rémission des péchés contre argent). Cette collection est une source de revenus considérable tout comme le minerai de fer, de cuivre, d’argent et les forêts dont la Saxe est largement pourvue.

    Il est candidat à l’Empire contre François Ier et Charles Quint : c’est le candidat du Pape. Curieusement, il restera toujours célibataire mais vivait “dans le péché” avec une concubine, Anna Weller, qui lui donna plusieurs enfants. Avec le temps, il renonça à ses reliques mais pas à elle.

    Lucas Cranach est aussi à Wittenberg , il apprit la peinture dans l’atelier de son père. Il disposait d’un atelier et de nombreux assistants qui produisirent une bonne partie des œuvres qui portent aujourd’hui son nom. Il était aussi apothicaire, en ce temps, la préparation des couleurs n’est pas très loin de la préparation des drogues. Pour les Catholiques, il peignait des passages bibliques et des madones. Pour les Protestants, il  fera le portrait de presque toutes les célébrités d’Allemagne qui jouèrent un rôle dans la Réforme.  Une obsession : le pouvoir maléfique de la femme,  omniprésent chez les luthériens.


     Mais son protecteur, c’est Frédéric III de Saxe : Il demande à Cranach de peindre ses châteaux, de créer des monnaies, des médailles, de copier sa collection de reliques, pourquoi ne pas en vendre ? il en fait son ambassadeur, lui donne des armoiries “d’or à une lisse-serpent de sable, aux ailes de chauve-souris de même, couronnée de gueules et tenant dans sa gueule un rubis monté sur un anneau d’or”. La cour de Wittenberg brille d’opulence et Cranach nous en renvoie le portrait. C’est le bourgeois le plus riche de la ville ! Le clergé est riche, très riche même, Une richesse qui passe difficilement pour naturelle et fait des envieux.

    C’est là qu’intervient Luther, moine anxieux et violent, troublé par l’apparat d’une église qui s’est éloignée de la simplicité originelle et dont souhaite se servir Fréderic pour affirmer son autorité face au Saint Empire. En 1517 , il placarde sur les portes de l’Eglise de Wittenberg ses 95 thèses condamnant les indulgences, le pape et les conciles. Sévèrement excommunié, il sera mis à l’abri par Frédéric dans son Château de Wartburg. Au moment de son procès à Worms , de nombreux portraits de Luther faits par Cranach inondèrent la ville. Ce dernier était aussi libraire et imprimeur, compétences bien utiles pour diffuser les textes de son ami, qui sera l’auteur de la première Bible en Allemand. Car Cranach était très lié au réformateur.

    Il sera son témoin lors du mariage du moine avec Catherine de Bora, une nonne enfuie de son couvent, et sera parrain de son premier fils : Johannes. Ils habitaient d’ailleurs dans la même rue à Wittenberg et la femme de Cranach avait hébergé Catherine dans sa fuite.

    Sur sa tombe, l’épitaphe du peintre est  “pictor cellerrimus” : Le plus rapide des peintres. Cette renommée causa sa perte : le succès aidant,  il cède à la facilité et bâcle son travail. Il dessine des vêtements aux lignes recherchées mais ignore les principes d’anatomie : les visages deviennent sans beauté et sont reproduits, sans caractère, à l’infini. S’il fut un des peintres dominants de son siècle, dans une société vouée au décorum et à l’ambition, il le dut largement au patronage de Frédéric et à l’amitié de Luther.

    En 1546, Charles Quint, à la tête de son empire catholique, déclare la guerre aux “sujets prétendument réformés” et les écrase à Mühlberg. L’électeur de Saxe est capturé et Cranach le suit dans son exil.  Charles a aussi son “pintor primero” : Titien le vénitien. Les deux hommes se rencontreront et Cranach fera le portrait de Titien, portrait hélas disparu aujourd’hui.

    C’est le mérite de cette exposition de nous montrer ce mélange de virtuosité et d’itérations chez ce peintre industrieux (près d’un millier d’œuvres nous sont parvenues). Alors reviennent les personnages et les évènements qui devaient plonger l’Allemagne dans la guerre civile la plus dramatique de son histoire et bouleverser de fond en comble la chrétienté.

    “Le 16 Octobre 1553, Lucas Cranach ferme les yeux, à 81 ans, épuisé, il a fait le tour des choses humaines” J.M.Tasset

    Du mercredi 9 février au lundi 23 mai 2011 :
     http://www.museeduluxembourg.fr/fr/expositions/p_exposition-2/

    Michel Field reçoit François-René Martin (Cranach - Le pouvoir des images), Aimé Richardt (Luther, Erasme)  et Mireille Huchon (Rabelais).