• l'École Nationale Supérieure des Beaux-Arts

    On vous parle de classicisme, d'impressionnisme, de cubisme, de pointillisme, mais peu de la maison qui fut longtemps au centre des débats, souvent très passionnés, autour des grandes évolutions de l’Art. L'histoire de l'École Nationale Supérieure des Beaux-Arts (ENSBA) peut remédier à cette lacune, tout y est inscrit,  au fil des siècles, du classique au moderne. Regardons autrement cette institution, un peu étrange et pleine de fantômes. Elle se situe sur la rive gauche de la Seine, en face du Palais du Louvre, à l’endroit même où se tenait le palais de la reine Margot, chez les Augustins. Là, fut installé le temple de ce qu’on appellera, bien plus tard, l'Académisme…

    Le palais des études de l'ENSBA (Duret.1863)

    L'histoire commence en 1648 avec sa création par le cardinal Mazarin, diplomate et homme politique italien qui était le premier ministre d’un roi de France de cinq ans : Louis XIV. C’est l’année du glorieux traité des Pyrénées, la fin de la guerre de Trente ans et la France est devenue la première puissance mondiale. Le Cardinal souhaite accompagner la victoire militaire par une victoire intellectuelle.

     À sa fondation, elle est nommée « Académie des Beaux-Arts », plutôt qu’école, ou collège, comme les autres établissements d'enseignement datant du Moyen Age. L’Académie vise le respect des anciennes écoles classiques, inspirées par Rome, voire même par  l’Athènes de Périclès, de Platon ou d’Aristote. Cette revendication d’un héritage lourd à porter est au cœur d'une symbolique de beauté éternelle incarnée dans le classicisme. Sa vocation était de réunir  les meilleurs professeurs et les plus brillants étudiants dans les domaines de l'architecture, de la peinture, du dessin, de la sculpture ou de la gravure.


    Mazarin, protecteur des libraires et des artistes
    Le 1er Février de cette année là, Charles Le Brun donna son premier cours avec l’ambition de rivaliser avec d'autres institutions comparables comme l'Académie florentine d'Art ou l'Académie de Saint-Luc à Rome. Les autres académiciens avaient pour nom Philippe de Champaigne, Eustache Le Sueur… Après Mazarin et avant Colbert, le chancelier Séguier, célèbre justement grâce au portrait qu'en fit Le Brun en assura la « protection » et la charge de définir ce qu’est « le bon goût ».

    Le chancelier Séguier par Le Brun
    Semblable à notre programme Erasmus moderne, qui permet aux étudiants de financer pendant un an leurs études en Europe, le Prix de Rome était décerné aux étudiants exceptionnels. Il leur offrait trois à cinq années d'études entièrement financés par l'État à l’Académie de France, à Rome, un prestigieux relais mis en place en 1666 par Colbert & Louis XIV, qui occupe aujourd’hui la Villa Médicis sur la colline du Pincio. Les artistes furent priés de s'y présenter, ce qui donna à l’institution son caractère officiel et par voie de conséquence, ceux qui n’en faisaient pas partie étaient considérés comme des artistes de rang inférieur. Cette différence conduira toujours à des controverses autour de la qualité des créations et sur le talent des créateurs.

    Dans l’histoire de Paris, c’est un peu l’esprit de l’Académie qui œuvre dans la fameuse conspiration au sujet de la colonnade du Louvre, dont la paternité est partagée entre Le Brun, Le Vau, d'Orbay et Claude Perrault, au dépens de la proposition initialement retenue de l’italien Gian-Lorenzo Bernini. Ce Louvre qui, d’ailleurs, tient lieu de galerie d’exposition à partir du départ du Roi à Versailles en 1680. Pour son château et sa nouvelle capitale, Louis XIV dispose ainsi d’une école toute dévouée à ses ambitions artistiques. Pour les étudiants, ce projet était une chance exceptionnelle. L’Académie devenait le centre intellectuel de l'architecture et de l'art français.

    La colonnade dite de Claude Perrault

    Par la suite, l’école restera conservatrice dans ses méthodes, comme dans sa production et donnera naissance au style « académique » : des professeurs académiciens, une structure de cours rigoureuse et des étudiants, nourris au lait  gréco-latin, dont la progression était dépendante de leur degré de soumission à la hiérarchie et de leur capacité à ne pas faire de l’ombre à leurs professeurs. Cependant, c’est ce corpus d’excellence qui fit naître des générations de talents et l’admission à l’Académie assurait tout naturellement l’accès aux commandes royales puis impériales et enfin républicaines.

    l'École s’est toujours située autour de l’ancien couvent des Augustins, près de la longue chapelle édifiée par la reine Margot, avec son cloître occidental et son grand jardin. C’est également ici que trouva refuge, pendant la  Révolution, le Musée des Monuments Français d'Alexandre Lenoir, qui sauva un patrimoine en grand péril. Un lieu particulièrement chargé de souvenirs qui fut déterminant pour ce quartier maintenant devenu celui des galeries d’art à la mode. L’Institut de France, héritière de son côté de l’Académie est toute proche, sur le quai de Conti.

    Le cloître dit 'cour du mûrier'

    Il y a bien sûr quantité d’artistes dont les noms nous sont familiers, qui furent diplômés de l'École des Beaux-arts, prix de Rome ou Académiciens, y compris dans le mouvement impressionniste, dont l’opposition à l’art officiel est devenu légendaire. Camille Pissarro, artiste paysagiste influent auprès de sa génération, est entré à l'école en 1855. Une grande partie de son travail fut rejetée par l'établissement comme celui de son condisciple, un certain Pierre-Auguste Renoir. On raconte que Monet ne voulut pas y entrer pour protester contre l'insuffisance de talent des professeurs. Le pointillisme, méthode d’accumulation de petits points semblables sur la toile, a été fondé par George Seurat, qui avait étudié à l’ENSB en 1878, avant de faire son service militaire. Georges Braque, père du cubisme, y fit des études à la fin du 19ème siècle. Bonnard et Vuillard s’y rencontrèrent autour de 1890. En sculpture, la liste des anciens élèves comprend Carpeaux, Bourdelle, César, Brancusi … peu connu : Antoine de Saint-Exupéry y a étudié l'architecture juste après la seconde guerre mondiale, alors qu’Aristide Maillol, célèbre pour peindre des nus féminins, entra à l'école en 1885. Van Loo, David, Bouguereau, Gérôme, Gérard, Gros, Ingres, Laurens et Gustave Moreau y furent professeurs. L’amphithéâtre où était remis le prix de Rome avec sa fresque murale de Paul de La Roche représentant une assemblée d’artistes a vu passer du beau monde !  

     
    La nef de l’église avec au fond la copie du jugement dernier de Michel-Angelo

    L’Ecole aux 400.000 statues est toujours une institution gouvernementale et fut profondément chamboulée par Mai 68. André Malraux lui donna un statut conforme aux souhaits des professeurs et des étudiants de l’époque : fin de l’élitisme & démocratisation des accès, suppression du prix de Rome, souplesse des cursus et de l’obtention des diplômes, ouverture au monde, tout en conservant un budget copieux, mais lui enleva la tutelle de la villa Médicis. Depuis 2006, on attend qu’elle se cale sur les autres institutions européennes comparables et qu'elle y puise l’énergie nécessaire à un nouveau départ : Difficile, semble-t-il, puisque l’école s’est faite épinglée en 2014 pour une gestion calamiteuse et une exposition trop confidentielle …aux yeux de la cour des comptes. Deux maladies rédhibitoires en cette période de vaches maigres pour les finances  publiques...

    D.L