• Paris, 100 façades remarquables de Claude Mignot

    Auteur en 2004 d'une Grammaire des immeubles parisiens chez Parigramme , Claude Mignot propose cette fois une anthologie de 100 façades parisiennes. Il ne s'agit plus ici de détacher les règles essentielles et leurs évolutions par les styles, mais de détailler 100 œuvres d'architectes en fonction des époques, de leurs influences et des contraintes techniques. Il souligne aussi la continuité historique, souvent oubliée en première analyse. Une série remarquable qui peut servir de cahier d'exercice pour tous ceux qui aiment enquêter sur les composantes des quartiers parisiens...

    Paris, 100 façades remarquables de Claude Mignot



    L'auteur a retenu un classement historique à partir du plus vieux Paris encore visible, comme la place des Vosges jusqu'aux immeubles post-modernes de 2013. Cet ordre chronologique permet d'observer précisément les effets dominants de chaque période, dans le choix des formes comme de celui des matériaux. Il met en évidence les multiples facteurs de ces évolutions : réglementations, découvertes techniques, influences, modes éphémères, mais aussi les impulsions publiques orchestrées sous l'ancien régime, lors des expositions universelles ou encore les concours de façades entre 1898 et 1905. On peut affirmer sans risque que l'innovation n'a jamais cessé, même en ce début de XXIe siècle, en dépit des analyses statiques sur le modèle de « ville musée » dont on nous rebat les oreilles : façades végétalisées, craintes écologiques, retour à l'ordre sans décoration s'écrivent bien aujourd'hui comme le furent les facteurs d'autrefois. Cette continuité s'exprime par exemple dans le soin apporté par Maximiliano Fuksas lorsqu'il insère ses formes modernes au sein du tissu ancien et d'un pignon de vieilles briques industrielles. Virtuosité, matériaux différents et subtils clins d’œil au modernisme signent le 19, impasse Charrière dans le Xie.

    19 rue Charriere  Paris XIe ®Samuel_Picas_Parigramme
    19 impasse Charriere  Paris XIe ®Samuel Picas Parigramme

    La glorification du paysage de la ville remonte aux premiers plans de Paris. Autour de 1550, Henri II commande une anthologie des monuments parisiens. Jacques II Androuet du Cerceau la présente à son successeur Charles IX en 1561 : un ouvrage en deux volumes « de desseings et œuvres singulières de votre ville de Paris ». Production avortée pour diverses raisons, mais dont il nous reste quelques gravures : la Bastille, la grande salle du Palais de Justice, la fontaine des Innocents,  mais aussi l'enfilade des maisons sur le pont Notre-Dame et celle dessinée par Pierre Lescot se trouvant entre le Petit Pont et l'ancien Hôtel-Dieu : une preuve de l'intérêt pour les maisons ordinaires qui ira croissant jusqu'à la création du concours de façades des maisons de la rue Réaumur, prélude à une période exceptionnelle pour l'embellissement urbain jusqu'à la Grande Guerre.

    61-63 rue de Reaumur Paris IIIe ®Samuel Picas Parigramme
    61-63 rue de Reaumur Paris IIIe ®Samuel Picas Parigramme

    En 1897, la municipalité de Paris utilise l’opportunité de l’ouverture de la rue Réaumur pour créer un concours de façades parmi toutes les élévations de cette rue et ainsi favoriser l’innovation. Onze façades sont retenues et quatre primées. La plupart sont de constitution mixte, commerciale et pour des bureaux. Le 61-63 n’a pas été choisi, mais illustre pourtant de façon admirable la déclinaison d’un thème dans un style, ici : le Temps qui passe. Dans une forme néo Gothique : quatre médaillons représentent les saisons, les douze mois de l’année sont associés au centre aux 12 signes du Zodiaque. Janus, le dieu des transformations, occupe l’agrafe de la  porte d’entrée et une immense horloge domine l’ensemble. Janus, dieu romain des transitions de l’ancienne année à la nouvelle, est aussi celui des passages comme des transitions, donc des portes.

    Autre exemple : À l'ouverture de la rue Navarin en 1830, le style néo-Renaissance est dominant dans le quartier de la Nouvelle-Athènes déployé par Louis-Philippe et son préfet Rambuteau. Au numéro 9 de cette rue, l'architecte relève cette continuité avec un  immeuble pourtant néo-Gothique, mais assez petit, sur deux étages seulement,  pour souligner les entrelacs en façade.

    9 rue Navarin®Samuel Picas Parigramme
    9 rue Navarin®Samuel Picas Parigramme

    Le point fort du livre est la mise en évidence des filiations. Il offre bien plus qu'une synthèse des plus beaux ornements de notre ville ou la fascinante accumulation d'éléments techniques et esthétiques combinés à travers les âges. C'est avant tout le vrai patrimoine, celui qui appartient à tous et ne se réduit pas à un style, à une époque, à un architecte, fut-il le plus prestigieux qui soit. Celui qui ne dit pas son nom, mais fait de Paris la première destination touristique mondiale et inspire le plus grand respect à ses visiteurs, quelquefois davantage qu'à ses propres habitants.

    « Il y a deux choses dans un édifice : son usage et sa beauté. Son usage appartient au propriétaire, sa beauté à tout le monde, à vous, à moi, à nous tous. Donc le détruire, c'est dépasser son droit » V.Hugo. Guerre aux  démolisseurs. 1832

    Feuilleter le livre ici

    Professeur émérite à l'université de Paris-Sorbonne, Centre André-Chastel, Claude Mignot a publié Grammaire des immeubles parisiens (Parigramme, 2013, 1re éd., 2004), Jacques Androuet du Cerceau, les dessins des plus excellents bâtiments de France (Le Passage/Picard, 2010, en collaboration avec Françoise Boudon) et L'architecture au XIXe siècle (Office du Livre/Le Moniteur, 1983).