• Journées Capitales d’Alain Rustenholz

    Au cours de ces vingt-et-une journées historiques, Alain Rustenholz s’interroge sur le paradoxe de cette ville, capitale de l’Etat-pouvoir et source, souvent dramatique, de sa remise en cause. À la fois foyer de légitimité, de justification et de sa stabilité en surface mais flamme de la rébellion, de pétards et de barricades, sur le fond. Lors de ces rendez-vous datés, si le scénario est toujours original, l’auteur remarque à juste titre le même étrange ballet : la ville se ferme, prisonnière de son enceinte, beaucoup y laissent leurs espoirs, certains en sortent quand d’autres y entrent dans l’Histoire…

    L’histoire de France est-elle liée aux enceintes de Paris, barrières concentriques qui se sont agrandies au cours des siècles ? L’idée est audacieuse mais peut aider à résoudre l’étrange énigme que pose ce livre en 21 dates.

    Déjà, depuis la deuxième enceinte de Paris, celle de Philippe Auguste on y trouve l’essentiel du décor de la pièce qui va s’y jouer au cours des siècles : la ville, ses habitants, le pouvoir légitime, le mur, et la porte de sortie vers l’inconnu. Philippe construit une muraille, encore visible par endroits de nos jours, pour protéger la ville avant son départ risqué vers une lointaine croisade. Pourtant, ce livre fait commencer la saga plus tard, avec la pose de la première pierre de la Bastille dans la troisième enceinte, le 22 avril 1370. On note d’ailleurs que cette enceinte est dite de Charles V alors que son véritable créateur est Etienne Marcel, le “maire de Paris” qui en paya une bonne partie de sa poche. Exécution d'Etienne MarcelMais passons, la Bastille, construction symétrique à celle du Louvre, est bien de Charles V et ce Roi est le seul à en détenir la clé, à proximité de son hôtel Saint-Paul, dans le Marais, afin de s’y réfugier si jamais… revenais les sinistres évènements de 1358, quand cet Etienne Marcel l’avait obligé à porter les couleurs bleue et rouge de la municipalité en signe de soumission, puis à laisser son palais de la Cité aux mains d’un concierge. La Bastille avec, derrière : les champs, puis le donjon de Vincennes, et au cas où... l’ailleurs. Le scénario de la ville close et menaçante est planté pour longtemps et la tragédie n’allait pas tarder à se reproduire.

    « Il y a des lieux où il faut appeler Paris : “Paris”, et d’autres où il la faut appeler “capitale du royaume”. » Blaise Pascal

    Le 1er mars 1382, des révoltés pillent la capitale et tuent les collecteurs d'impôts avec des maillets en plomb ! Entre 1412 et 1420, c’est une guerre civile menée de l’intérieur par les Anglo-Bourguignons contre Charles VI. Elle provoque le siège de 1420… celui de 1429 où Jeanne d’Arc sera blessée porte Saint-Honoré, enfin celui de 1435 qui verra le Roi Charles VII , le 12 Novembre 1437, reconquérir sa ville sinistrée par 19 ans d‘occupation anglaise, portes closes.

    Les clés de cette ville sont gardées par la famille des Guise, en ce 24 août 1572, jour de la Saint-Barthélemy, et ils y enferment les protestants avant la curée fatale à l’heure dite, fixée par le tocsin de Saint-Germain-L’auxerrois. Saint Barthélemy 1572C’est du Louvre que Catherine de Médicis et Charles IX lancent les opérations macabres dans la ville devenue souricière pour les huguenots, tous habillés de noir, dont la reine Margot dira qu’ils lui font penser à des rats ! C’est par la seine rougie de leur sang qu’ils quitteront la ville, portes closes.

    Douze ans plus tard, c’est au tour du Roi Henri III de fuir devant la menace. Le 12 mai 1588, Henri le balafré, duc de Guise est le maître de la Ligue et d’un Paris qui vient d’inventer la barricade, où un feu brûle dans chaque rue, « une chandelle à chaque fenêtre ». Il se fait livrer la Bastille tandis que le roi s’enfuit vers Chartres. Suivront quatre années de siège et de famine et ce n’est que le 22 mars 1594 qu’ Henri IV le huguenot entre par la porte Neuve dans une ville meurtrie et affamée, cette même porte qui avait vu sortir son prédécesseur homonyme six ans plus tôt. Au même instant, les troupes espagnoles, qui renforçaient la ville, remontent la rue Saint-Denis vers la porte du même nom, accompagnés d’une cohorte de moines et de prédicateurs attachés à leurs basques…
    Procession de la Ligue en 1590
    Soixante ans après cette Ligue, c’est la Fronde, douze cents barricades chassent à nouveau de Paris un roi de 1o ans : Louis XIV, sa mère Anne d’Autriche et son ministre Mazarin. Le nouveau Guise s’appelle Condé, « Monsieur le Prince » et c’est une femme : la « grande mademoiselle » de Montpensier qui fait donner les canons de la Bastille pour sauver ce qui reste de l’armée du prince félon, décimée par Turenne, et qui lui ouvre la porte Saint-Antoine pour le sauver. La Montpensier à la Bastille en 1652C’était le 2 juillet 1652 et le 21 Octobre, le Roi et sa mère retrouvent leur capitale « bien-aimée ». Louis XIV ayant assuré la sécurité de Paris grâce à la glorieuse paix d’Aix-la-Chapelle, il fait détruire les remparts parisiens en 1670, pour toujours, pensait-on alors, à tort, afin d'aménager sur leur emplacement une promenade plantée, ancêtre de nos Grands boulevards. Conséquence : la Bastille se trouve désormais dans la nouvelle ville étendue aux faubourgs où elle fait planer son ombre menaçante.

    La reconstruction d’une nouvelle enceinte, fiscale cette fois, autour de la capitale par Ledoux en 1786 remet le feu aux poudres et contribue à la révolution de 1789. Si la Bastille tombe le 14 juillet, comme chacun sait, on ignore que dans la nuit du 12 au 13, les parisiens auront mis le feu à 40 des 54 barrières du nouveau mur !

                         « Pour augmenter son numéraire
                           Et raccourcir notre horizon,
                           La Ferme a jugé nécessaire
                           De mettre Paris en prison. »
    Le roi Louis XVI, qui réside à Versailles, entre dans sa ville le 17 Juillet en “visiteur”, mais les parisiennes iront le chercher à Versailles le 5 octobre pour le ramener, contraint et forcé cette fois, à Paris dans un cortège épique dont Chateaubriand décrira l’arrivée aux Champs-Elysées dans un morceau d’anthologie des mémoires d’outre-tombe.Arrivée du couple Royal à la porte des Ternes De cette date, le projet de quitter la ville ne cessera d’obséder la famille royale jusqu’à la fuite de Varenne, les 20 et 21 juin 1791, épisode fameux au cours duquel Louis XVI, déguisé en valet de chambre, donne par ses choix un nouvel exemple de son incurie et la Reine, qui se perd autour du Louvre en fuyant, celui de sa sottise. C’est dans un silence de mort que la famille repasse la barrière des Ternes en sens inverse le 25 juin, « Quiconque applaudira le Roi sera bâtonné, quiconque l’insultera sera pendu » avait prévenu La Fayette.

    Le chassé croisé des éminences suit tout le dix-neuvième siècle qui débute le 31 mars 1814 avec la prise de Paris par les Allemands et les Russes. Napoléon , grand responsable du désastre, est en fuite en dépit du montage médiatique de Fontainebleau. Allégorie de Louis XVIII recevant les clés de ParisLe 3 Mai, Louis XVIII fait son entrée solennelle dans Paris,  « comme un père qui retrouve ses enfants ». Le 20 mars 1815, Napoléon y fait un retour aussi triomphal qu’inattendu, mais après Waterloo Louis XVIII « recouvre ses droits » sur Paris le 8 juillet… Et ainsi de suite… Le 27 juillet 1830, le Roi n’a même pas eu à quitter la ville, Charles X est à Saint-Cloud quand il apprend que Paris s’est couvert de barricades et le 29, l’hôtel de ville déclare qu’il a cessé de régner. En trois jours, un aréopage de poètes, de banquiers, d’étudiants et d’imprimeurs mettent fin à la monarchie au profit d’un fils de régicide : Louis-Philippe. A peine vingt-ans plus tard le 24 février 1848, ce dernier est à son tour expulsé hors-les-murs par la populace en furie des ouvriers parisiens au chômage.

    Une République et un autre Bonaparte plus tard, les Allemands sont à nouveau devant Paris le 18 mars 1871, seuls cette fois, mais avec une puissante armée. L’impératrice Eugénie a fui depuis le 4 Septembre davantage par crainte des viragos que des prussiens. Une nouvelle République s’installe à Versailles et négocie la conservation de Belfort contre l’entrée des ennemis dans la capitale ! Les parisiens, insultés et excédés, à qui on demande en conséquence de livrer leurs canons ne l’entendent pas de cette oreille et proclament la commune insurrectionnelle ce jour là. Fortifications de Thiers à la porte de VersaillesLes étrangers sont médusés de voir Thiers et les républicains livrer bataille contre d’autres français retranchés derrière une nouvelle enceinte qu’il fit lui-même construire en entourant puissamment la capitale en 1844 ! La guerre civile durera de l’offensive des Versaillais par la porte du Point du Jour le 21 mai jusqu’à la fin de la semaine sanglante au père Lachaise, le 28 mai 1871 !

    Paris occupé par les Allemands, c’est encore le cas depuis quatre ans, ce 26 avril 1944 lorsque Philippe Pétain y pénètre en “touriste” et reçoit une ovation à l’hôtel de ville devant les parisiens pour lesquels il représente encore une certaine histoire. Le 24 Aout de la même année, les chars de Leclerc entrent par la porte d’Orléans tandis que Rol Tanguy appelle à lever des barricades en support. Le lendemain, Charles de Gaulle , victorieux, entre à son tour dans Paris et prononce le fameux discours de l’Hôtel de Ville glorifiant « Paris outragé mais libéré » quand des coups de feu de miliciens se font encore entendre dans la capitale. Manifestation à Paris en Mai 1968C’est ce même Charles de Gaulle qui fuit le 29 mai 1968 alors que la « chienlit » a repris dans Paris depuis le 10 mai précédent, en ce jour où les étudiants et les gauchistes décident d’occuper la Sorbonne et le quartier Latin ! Le général, qui a bien retenu la leçon de ses prédécesseurs face aux mêmes difficultés, s’affaire à reconquérir la capitale de l’extérieur, de Baden-Baden en Allemagne, première étape qui le mènera en bout de course à l’impressionnante descente des Champs-Elysées du 30 mai.

    Paris verra ensuite la construction d’une enceinte d’un autre genre : le boulevard périphérique en 1973. Rocade autoroutière indispensable qui conduit à une nouvelle frontière : ceux qui sont à l’intérieur : 2 millions et ceux qui sont à l’extérieur : 11 millions. La banlieue est née, avec ses problèmes d’urbanisme sacrifié, de transport sordide et de zones d’insécurité où le pouvoir parisien ne sait plus trop ce qui s’y passe et s’imagine encerclé. D’où l’idée fédératrice de « Grand Paris » lancée en grande pompe le 17 septembre 2007 par le président Sarkozy à l’occasion de l’inauguration de la cité de l’Architecture et du Patrimoine. Le rêve des architectes est immense : la nature renaissante, la mixité sociale, les nombreux équipements, les transports rapides, les logements écologiques. C’était avant la crise de 2008 et six ans après, il nous reste la promesse d’un “grand huit” de 205 kms de métro, livré avec ses 72 gares pour l’extension du réseau de transport autour de Paris en 2030. Quelque chose qui ressemble curieusement, en somme, à une nouvelle enceinte pour le XXIe siècle.


    Journées Capitales d’Alain Rustenholz par Google+