• Bicentenaire 1812 et la Campagne de Russie. Partie VII : Michel Ney



    À Borodino, vers 7H00 du matin, Napoléon engagea les corps de Ney et de Junot. Ces forces menèrent l'attaque plein-centre contre les trois flèches de retranchement de l'armée russe.
    "Les redoutes de la mort se composaient de monticules, avec des tranchées creusées sur les côtés, les canons tiraient des retranchements à travers les vides laissés dans les travaux de terrassement. En fait, c'était une promenade dans l'enfer. Par l'effet de cette fumée continuelle, il devenait impossible de saisir les mouvements des uns et des autres”.

    Les combats se poursuivirent jusqu'à 10H00, trois longues heures au bout desquelles elles tombèrent aux mains des Français. Une violente contre-attaque russe délogea les assaillants. Ney reprit les redoutes à 11H00, avant d'en être expulsé, puis d'attaquer à nouveau,
    On s'y battait à la baïonnette et à mains nues. Les officiers russes y balançaient par poignées de croix de saint Georges pour soutenir le moral des défenseurs.” Ney attaqua cinq, six, sept fois pour les reprendre définitivement à 11H30.
    Davout vit quatre chevaux tomber sous lui, Rapp y sera blessé, Caulaincourt y laissera la vie, Bagration également.
    Michel Ney fût le prince de la Moskova ce jour-là.

    Le Rougeaud, ainsi nommé parce qu'il était roux mais aussi pour son tempérament sanguin était le fils d’un modeste tonnelier de Sarrelouis, un endroit ni complètement français, ni complètement allemand mais source d’un attachement indéfectible à son pays. Un père qui participa à la bataille de  Rossbach (1757) et lui transmettra le goût de l'exploit, du coup de feu improbable, et cette étincelle imprévisible qui mettra si souvent le feu à sa raison.
    Napoléon dira de Ney à Sainte Hélène :
    "C'était un brave, le plus brave, mais aussi un fou, il emportera avec lui l'estime de personne".

    La prise de la redoute Raievski à Borodino
    Pourtant l’empereur lui devra beaucoup ce jour du 7 septembre 1812 tout comme quelques années plus tôt à Elchingen.
    Il fallait passer le Danube débordant sur un mauvais pont à demi détruit et balayé par l'artillerie ennemie. La pluie tombait à torrents et le village, sur une hauteur, était formidablement défendu et difficile d'accès. Ney s'élança en grande tenue, gravit les pentes sous une grêle de mitraille, et délogea une armée quatre fois supérieure, contre laquelle il tient bon jusqu'à l'arrivée des secours. Sans Elchingen, il n’y aurait pas eu d’Austerlitz.

    «La nature avait donné Ney un corps de fer, une âme de feu. Sa carrure athlétique était athlétique et sa voix résonnante. Il n'avait qu'à donner un ordre pour vous sentir courageux. Peu importe la façon dont vous avez été courageux ou vous vouliez le paraître, si cet homme était près de vous, au milieu d'un combat, il était le plus fort. Même sous la mitraille où son rire et ses plaisanteries semblaient défier la mort tout autour de lui, sa supériorité mettait tout le monde d’accord pour obéir à ses ordres. " 
    À
    Eylau, il arrive en retard, mais sauve une partie bien mal engagée.
    À
    Friedland, il reçoit la mission périlleuse de traverser les rangs ennemis pour couper leurs arrières et les précipiter dans la rivière Ale. « Voilà votre but, marchez sans regarder autour de vous, pénétrez dans cette masse épaisse quoi qu'il puisse vous en coûter, entrez dans Friedland, prenez les ponts et ne vous inquiétez pas de ce qui pourra se passer à droite, à gauche ou à l'arrière. L'armée et moi sommes là pour y veiller. » lui dit Napoléon. Une mission folle. Le maréchal ordonne la marche en avant, l'arme au bras sous le feu de l'infanterie et des 100 canons ennemis, vomissant des milliers de boulets. Ney encourage ses hommes à grands coups de « Foutres noms de Dieu » puis s'empare de Friedland et détruit les ponts. Le flanc droit russe est culbuté dans la rivière par une dernière charge à la baïonnette des troupes de Lannes et Mortier.

    « Cet homme, c'est un lion » s'écrie avec admiration Napoléon.

    L'héroïque retraite du IIIe corps du maréchal Ney à Krasnoï par Adolphe Yvon (1817-1893)
    À
    Smolensk, au moment de quitter la ville en feu, il reçoit une balle dans le cou mais son plus grand titre de gloire demeure le retour de Moscou, au cours duquel il va user sept arrière-gardes, résister seul à Koutousov à Krasnoï le 18 novembre, les cosaques dans le dos, refuser de se rendre, s'échapper à la faveur de la nuit, parcourir 80 kilomètres avec les restes de son corps et réussir à rejoindre l'Empereur, après avoir piétiné plusieurs détachements russes.

    Le maréchal Ney défendant Kovno, par Denis Auguste Marie RaffetIl s'illustre encore à la Berezina le 29 novembre, où son corps repousse tous les assauts et part le dernier, une fois les ponts coupés : Ney, le fusil à la main, continue à protéger la retraite et passe le Niémen, en dernier et presque seul, le 14 décembre.

    Statue de Ney par Rude à l’angle de la rue de l’observatoire et du boulevard MontparnasseC'est dans cette attitude héroïque qu'il est représenté sur la statue de Charles Pêtre à Metz.
    À  Paris, la statue de François  Rude qui se trouve au carrefour de la rue de l'observatoire et du boulevard Montparnasse le représente dans une position similaire : toujours à pied, l'épée levée. C'est près de cet endroit qu'il fût fusillé à 8h du matin, le 7 décembre 1815, en redingote et chapeau rond.


    Encore tout auréolé de la gloire de ses exploits et de sa légende russe, Louis XVIII le nomme Commandant en chef de sa Cavalerie et pair de France en 1814. Mais bientôt vint cette promesse au Roi "qui ne lui en demandait pas tant" de ramener l'usurpateur corse, brusquement débarqué de l'ile d'Elbe, dans une cage de fer. Puis son ralliement à l'empereur vaincu à Auxerre et ce sont cent jours de trop qui le conduiront à la prison du Luxembourg pour haute trahison. « On ne peut arrêter l'eau de la mer avec les mains. » dira-t-il pour se justifier.
    Entre-temps, il y eut Waterloo, où il commet des erreurs et cherche la mort en chargeant comme un fou furieux, cinq chevaux tués sous lui et la sensation, sous ce visage noir de poudre et de fumée, que cette fois, tout était bel et bien fini.
     
    Lui ou le destin en avait décidé ainsi car il aurait pu échapper mille fois au peloton d’exécution. Exelmans lui ouvrira grand les portes du Luxembourg pour qu’il s’évade, Davout et Fouché lui fabriqueront des papiers neufs pour fuir à l'étranger. A chaque fois, il refuse de bouger. Moncey refusa de présider le procès et sera mis en prison pour cela, ce fût ce pauvre Jourdan, qui attendit toute sa vie de devenir duc de Fleurus qui présida le comité. Il envoya Michel Ney au peloton, d’où il prononça sa dernière bravache : "soldats, droit au coeur !".

    7 décembre 1815, l’exécution du maréchal Ney par Gérôme
    Enfin, c'est ce qu'on dit, car des légendes naquirent aussitôt disant qu'il avait fini par s'enfuir et qu'on l'aurait reconnu en Amérique en fermier tranquille ou en maître d'école, sous le nom de Peter Stuart Ney. Sa tombe fût ouverte en 1903 et reconnue vide par le fossoyeur. Pour certains, son exfiltration aurait été organisée par la franc-maçonnerie dont il était membre.
    En 1969, lorsqu'on déplaça sa statue pour construire la station de RER Port Royal et la placer où elle se trouve aujourd'hui, à l’angle de la rue de l'Observatoire et du boulevard Montparnasse, on raconte qu’il fût difficile de secouer l’apathie des ouvriers, non par la difficulté de l’opération ou qu’ils fussent fatigués, mais parce qu'ils prirent peur et qu'au bruit tonitruant des pelleteuses et des explosifs, ils craignirent que le rougeaud ne se réveillât.