• Bicentenaire 1812 et la Campagne de Russie. Partie VI : Borodino : La bataille des batailles



    Sous la pression du Tsar Alexandre Ier et de l'opinion publique, l’armée russe se devait de livrer une grande bataille pour essayer d'arrêter les français. Borodino fut la bataille la plus terrible de la campagne de 1812, elle fut également la bataille la plus meurtrière du XIXe siècle.
    "Un peu avant le jour, le canon se fit entendre de nouveau, mais à une grande distance. La matinée était claire, le froid piquant. Vers neuf heures, nous vîmes paraître l'Empereur. Il resta bien certainement trois quarts d'heure tout près de nous, les yeux fixés sur ce théâtre de carnage. Je le vis faire approcher un des officiers de sa suite et lui parler. Aussitôt cet officier entra dans la redoute avec des chasseurs qu'il disposa en carré, de manière à circonscrire un certain espace dans lequel on compta les morts. La même manœuvre fut répétée sur différents points, et je compris qu'on avait voulu, par cette sorte d'opération mathématique, se rendre compte approximativement du nombre des victimes. Pendant ce temps , la physionomie de l'Empereur demeura impassible, seulement il était très-pâle… "  Mémoires du Capitaine H.De Brandt

    Le Tsar, après d’âpres conflits internes entre les différents partis et personnalités de l’armée russe, avait fait le choix à contrecœur d’un nouveau commandant en Chef, le Général Koutouzov. Son choix était dicté par l’unanimité que ce général vraiment russe faisait, à la fois dans l’armée mais aussi dans le peuple. La retraite habile dirigée par Barclay, chef d’œuvre tactique et stratégique avait été ressentie par les russes comme une grande humiliation, un aveu de défaite. Pourtant le général Barclay avait sauvé l’armée d’une destruction complète, dans les premières journées du conflit, et les semaines qui suivirent. C’est dans une ferveur presque mystique que Koutouzov fut accueilli par les soldats et le peuple, qui l’acclamaient à chacune de ses apparitions. En effet, c’était un grand personnage de la Russie, un héros, presque mythique. En comptant les milices, c’était un total de 120 000 hommes que les Russes pouvaient opposer à environ 135 000 Français. La bataille pouvait être tentée. Contrairement aux idées préconçues, cette bataille se fit en deux temps, une entrée en lice à Chevardino et le plat principal sur la rivière Moskova à Borodino.

    Les Russes avaient construit une forte redoute à Chevardino, Ils se montrèrent comme deux jours plus tard à Borodino, d’une bravoure inouïe, malgré l’effroyable boucherie qu’ils subirent. Barclay de Tolly fin tacticien qui gardait le commandement de la 1ère Armée, avait conseillé un intelligent repli derrière une ligne plus défendable, un peu en arrière, mais l’entêté et rusé courtisan qu’était Koutouzov avait fait la sourde oreille. Napoléon de son côté a immédiatement relevé l’erreur de Koutouzov, elle fut prise en fin de journée par une attaque combinée, après un âpre combat où les Russes, sans esprit de recul, se firent tuer sur place, préfigurant les tragiques pertes de la suite. A 20 heures, la position était prise, en dépit d’une contre attaque de Bagration. Dans la nuit, déjà tombée depuis longtemps, les combats se poursuivirent à la lueur des éclairs des armes à feu et des canons. Les Russes laissaient 7 000 hommes sur le terrain, et les Français 4 000 des leurs, dans la fureur d’une bataille très disputée. Une chose était claire et réjouissait les uns et les autres, une grande bataille allait enfin avoir lieu. Elle était espérée comme décisive.

    Les russes s’étaient placés sur la défensive en creusant hâtivement des redoutes, dont celles dite de Raïevski ou les fameuses flèches de Bagration. Une des constantes de cette bataille, fut la densité infernale du feu, par la présence de près de 1 200 canons et l’âpreté de la défense des Russes décidés au sacrifice ultime, la retraite avait été longue et difficile, les sacrifices de la terre brûlée durs à porter, aussi ils se battirent avec l’énergie du désespoir. Il n’est que de relire Tolstoï pour s’en persuader. Ce fut un véritable carnage pour les forces russes, les témoignages à ce sujet sont effrayants, des bataillons entiers, des régiments décimés par l’artillerie française. Ici, l’arme au pied ayant perdu leurs officiers et attendant des ordres qui ne venaient pas. Ailleurs, des contre-attaques déchaînées au mépris de la mort, conduisant à des corps à corps meurtriers pourtant assez rares dans les batailles de l’époque, une sombre mêlée où dans la confusion,  la Cavalerie, l’Artillerie et l’Infanterie devaient se retrouver tous entremêlés.

    La mort de Bagration à Borodino (Vepskahdze)
    La densité des balles, la densité des fumées, dues à la poudre noire utilisée par les canons et les fusils et un bruit infernal ajoutent à l’aspect terrifiant de cette bataille. Côté français, les historiens et les témoins de l’époque ont tous remarqué des incohérences dans les mouvements français, notamment des cavaliers laissés plusieurs heures eux-aussi sous le feu destructeur de la puissante artillerie russe des redoutes, ou encore l’étonnante inaction, l’indécision de l’Empereur, que ce soit dans les mouvements, ou surtout dans l’envoi de la Garde Impériale pour achever la journée par une éclatante victoire. Cette journée fut une journée de l’artillerie où les Français se montrèrent supérieurs comme à leur habitude, dominant l’artillerie russe pourtant plus nombreuse.

    Napoléon à Borodino (Vereshagin)
    Ce fut une bataille du courage, du sacrifice, une impensable boucherie. 28 000 Français, dont 7 000 tués, 45 000 russes mais probablement beaucoup plus sont tombés ce jour-là sur un champ de bataille pourtant assez réduit. La terre, elle-même, était gorgée du sang des hommes et des chevaux et longtemps le lieu fut souillé par les restes macabres du terrible combat. L’attaque frontale sans imagination que Napoléon lança ce jour-là sur le centre russe a été souvent critiquée, nous étions loin, en effet, des manœuvres géniales qui firent les succès de l’Empereur à Austerlitz ou Friedland ! Il a été écrit qu’il fut malade et indisposé, il n’était en tout cas plus l’homme des succès des années précédentes. Davout, Murat et Ney demandèrent à l'Empereur d'engager les 30.000 soldats de la Garde, retenus en réserve, afin d'emporter la décision et d’écraser définitivement l’armée russe.  Napoléon refusa. Il avait fait mettre devant sa tente le portrait de son fils afin que tout le monde le voit, puis demanda finalement de le retirer, avait-il l’esprit ailleurs ? On ne le vit pas à cheval une seule fois de la journée et ne cessa de s’opposer aux avis de ses maréchaux.

    Le vieux Koutouzov, qui s’était fait surprendre deux jours plus tôt à Chevardino, qui avait écarté tous les conseils du prudent Barclay de Tolly, s’était enfermé dans son quartier-général à une distance si respectable du champ de bataille, qu’il en fut absent toute la journée. Pendant que Bagration mourrait héroïquement à la tête de sa 2ème Armée, qui fut étrillée ce jour-là, tandis que Barclay tentait l’impossible pour endiguer les attaques des Français, Koutouzov recevait « des rapports » de quelques officiers au milieu de bouteilles de champagne et d’une bonne pitance. La nuit venue, il se replia vers l'Est, ouvrant la route de Moscou aux troupes impériales. Napoléon put franchir la Moskova et marcher vers Moscou, évacuée par les Russes.

    Le Capitaine Henri de Brandt note dans ses “souvenirs d’un officier polonais” : “On nous fit bivouaquer à cette même place [une redoute], parmi les mourants et les morts. Nous n'avions ni eau, ni bois, mais on trouva du gruau, de l'eau-de-vie et d'autres provisions dans les gibernes des Russes. Avec des crosses de fusils et les débris de quelques fourgons, on parvint à allumer assez de feu pour confectionner des grillades de cheval, notre plat de résistance. Pour faire la soupe, il fallut redescendre puiser de l'eau à la Kolotscha. Mais voici ce qu'il y eut peut-être de plus horrible ! Autour de chaque lueur qui commençait à briller dans les ténèbres, les blessés, les agonisants furent bientôt plus nombreux que nous-mêmes. On les voyait de toutes parts, semblables à des spectres, se mouvoir dans la pénombre, se traîner, ramper, jusque dans l'orbe lumineuse du foyer. Les uns, affreusement mutilés, avaient usé dans cet effort suprême ce qui leur restait de forces : ils râlaient et expiraient, les yeux fixés sur la flamme dont ils avaient l'air encore d'implorer le secours ; les autres, ceux qui avaient conservé un souffle de vie, semblaient les ombres des morts ! Ils reçurent tous les soins possibles, non-seulement de nos braves médecins, mais des officiers et des soldats. Tous nos bivouacs étaient devenus des ambulances. "

    Source : Laurent Brayard http://french.ruvr.ru/2012_06_24/Campagne-de-Russie-1812-histoire/ La Voix de la Russie Голос России
    http://french.ruvr.ru/2012_07_15/campagne-1812/





    Radio Moscou au sujet du bicentenaire de la bataille du 7 Septembre 1812 et de l’exposition à l’Hôtel d’Estrée (79, rue de Grenelle)