• Bel Ami


    Mis en scène par le duo Declan Donnellan/Nick Ormerod, la nouvelle adaptation du roman de Guy de Maupassant donne un nouveau visage à Georges Duroy : Robert Pattinson. Un solide casting rassemble Uma Thurman (Madeleine Forestier) Kristin Scott Thomas (Virginie Walter  renommée Rousset par conformisme) et Christina Ricci (Clotilde de Marelle).

    Ce bel ami n'a pas reçu un accueil très chaleureux, plutôt glacial même. C'est dommage et un peu injuste. Injuste, car il fait preuve à mon sens d'un large respect de l'intrigue, du texte, de l'ambiance délétère de l'époque, des rapports cyniques entre la politique et la bourgeoisie d'alors, qu'alimentent les scandales financiers et la perfidie d'une presse féroce. Ce Paris où Clotilde reçoit son amant rue de Constantinople est bien reconstitué,  comme les folies bergères ou aime tant trainer Duroy. J'ai trouvé que le ton du livre est bien présent, les personnages très proches de leur description originelle, même physique, même Paris :
    "La ville, chaude comme une étuve, paraissait suer dans la nuit étouffante. Les égouts soufflaient par leurs bouches de granit leurs haleines empestées, et les cuisines souterraines jetaient à la rue, par leurs fenêtres basses, les miasmes infâmes des eaux de vaisselle et des vieilles sauces."
    On a vu dans le passé des reconstitutions plus outrageantes et édulcorées de la description de Maupassant. Tenez, par exemple dans cette version à l'eau de rose de 2005, assez bien pensante et très télévisuellement correcte. Inversement, ici, on aura du mal à trouver un seul personnage sympathique, même Duroy, surtout Duroy, sommes-nous loin de l'original ? à mes yeux, pas vraiment, il lui manque la moustache, toutefois. L'univers décrit est redoutable, dangereux, violent, sans pitié et  ne fait pas vraiment rêver. C'est surement ce que de nombreux critiques reprochent au film. Le roman réaliste est un genre difficile. L'adaptation, plus encore. Pourtant, prenez Rachel, son interprétation dans l'adaptation de 2005 et dans celle-ci, l'exemple est éloquent et plutôt à l'avantage de cette dernière. Que dit Maupassant ?
    "C'était une grosse brune à la chair blanchie par la pâte, à l'œil noir, allongé, souligné par le crayon, encadré sous des sourcils énormes et factices. Sa poitrine, trop forte, tendait la soie sombre de sa robe ; et ses lèvres peintes, rouges comme une plaie, lui donnaient quelque chose de bestial, d'ardent, d'outré, mais qui allumait le désir cependant".

    Alors, bien sûr, il y a le cas R.Pattinson, exécrable et vaniteux, qui n'apporte pas grand-chose au personnage et auquel on a enlevé cette tendresse de la visite et de la discussion futile qui fait son charme réel et qui le rend séduisant, au moins chez ces dames, car Maupassant ne fit absolument rien pour le rendre sympathique, bien au contraire.
    Pattinson, qui promène en permanence son sourire de salle de bal est très bien dans son rôle surtout, lorsqu'il remet sa cravate ou descend le boulevard Malesherbes pour se rendre à "La Vie Française". Il est crédible, c'est déjà beaucoup, mais c'est tout.

    Bonne adaptation, mais pas grande adaptation. On n'y retrouve pas l'acidité du roman, la scène de l'église de la Trinité où Mme Walter supplie à genoux le vicaire de la confesser n'est pas là " Non ! non ! non ! tout de suite ! tout de suite ! Il le faut ! Il est là ! Dans cette église ! Il m'attend. "  ni même ses paroles, cette sublime puérilité " Mon rat ", " Mon chien ", " Mon chat ", " Mon bijou ", " Mon oiseau bleu ", " Mon trésor ", la scène de bagarre avec Clotilde, ivre de rage au sujet de son mariage avec Suzanne. "il l'agitait comme on agite une branche pour en faire tomber les fruits, elle hurla, décoiffée, la bouche grande ouverte, les yeux fous : " Tu as couché avec ! "  Et surtout la différence de classe sociale qui fait bouillir le journaliste : "La mère Duroy ne parlait point épiant Madeleine de l'œil  avec une haine éveillée dans le cœur, une haine de vieille travailleuse, de vieille rustique aux doigts usés, aux membres déformés par les dures besognes, contre cette femme de ville qui lui inspirait une répulsion de maudite, de réprouvée, d'être impur fait pour la fainéantise et le péché”.

    On ne retrouvera pas non plus, bien sûr, la description terrible de Walter (renommé Rousset) : " Le patron ? Un vrai juif ! Et vous savez, les juifs on ne les changera jamais. Quelle race ! " Et il cita des traits étonnants d'avarice, de cette avarice particulière aux fils d'Israël, des économies de dix centimes, des marchandages de cuisinière, des rabais honteux demandés et obtenus, toute une manière d'être d'usurier, de prêteur à gages"
    Le vrai Bel Ami, on s'en approche, peu à peu. Peut-être le verrons-nous un jour, intégralement comparable à ce que voulait en faire le regard et la toile sans complaisance de Maupassant : un animal toxique.